19 Janvier 2021
Ce sont les départ du Vendée Globe 2020 et la relecture du merveilleux ouvrage de Bernard Moitessier qui m’ont fait réfléchir à “La Longue Route” mais aussi à la filiation forte qui unissent un Imoca 60 et Joshua, son célèbre ketch rouge, qu’il emmena participer au Golden Globe Challenge de 1968, première course autour du monde en solitaire.
Conçu initialement comme “Maité”, un voilier plus petit, en bois, et dont l’architecte Jean Knocker avait gracieusement réalisé les plans, la rencontre avec Jean Fricaud fit naître un bateau “agrandi” de 15%, un ketch en acier. C’est que Fricaud, le second mécène à se pencher sur le berceau de Joshua, dirigeait une entreprise de construction de pelles mécaniques. De là à réaliser une coque, le pas n’était pas long à franchir. C’est d’ailleurs son fils qui créa l’année suivante le chantier Méta de Tarare, bien connu pour ses coques en Strongall (alliage aluminium), les pommes ne tombent jamais loin de l'arbre…
A une époque où les télécommunications et les balises étaient tout simplement absentes des bords, les skippers participant à ces courses ne pouvaient compter sur absolument aucun secours lors de leur périple. Il fallait que le bateau survive à tout et que sa maintenance demeure possible en mer.
Construit très solidement en tôle d’acier de 5 mm d’épaisseur, Joshua était un ketch (16 m hors tout et 12,20 m à la flottaison) à quille longue, à faible tirant d’eau (1,60 m). Le bateau pesait 9 tonnes lège, à comparer aux 7,5 tonnes des Imoca actuels, bien plus grands (18 m22 et 20m12 avec bout dehors).
Gréé en côtre, il portait deux mâts assez courts : 15 mètres pour le grand mât et 7 pour l’artimon et un long bout-dehors. Deux mâts, en bois plein, taillés dans des poteaux télégraphiques à peine affinés à la plane.
C’est court, en comparaison des 26 m d’un Imoca 60, mais Joshua encaissa sans broncher, au cours de son voyage, pas moins de 4 chavirages, mâts dans l’eau, dont deux par des vents de force 9 et des creux de 15 m. Pas d’autres dégâts qu’un hauban arraché, ou plutôt quelques serre-câbles forcés. L’armateur préférait les serre-câbles car ils se surveillent et se réparent aisément.
Ne pas avoir démâté dans ces conditions valide de la conception “souple” de l’ensemble mâts et barre de flèche.
L’artimon ne disposait ni d’étai, ni de pataras et encore moins de marocain (un câble reliant les deux têtes de mât) mais seulement de deux barres de flèche et d’un haubanage en câble de 10mm.
Le grand mât montait deux paires de barres de flèche et un haubanage en câble acier inox de 8mm. Les barres de flèche qui garnissaient ces deux espars étaient montées d’une telle manière qu’elles permettent aux mâts de pivoter légèrement autour de ce dernier. Pivoter sans rompre, belle idée !
Côté voiles, Joshua emportait une très vaste garde-robe en tergal lourd (nylon), qui permettait au ketch de varier sa toile en fonction du temps. 13 voiles pour faire un jeu complet, deux jeux plus ou moins intégraux présents à bord et 3 bandes de ris (automatiques) sur les grand-voiles. Plus de 20 voiles, un stock qu’envient les Imoca limités à 8 par les règles de jauge !
Côté couture, des placards diffusaient la charge autour de chaque mousqueton ou point de tirage, d’autres protégeaient du ragage des haubans, tandis que certains étaient cousus aux points prévisibles de rupture (chute). Ces renforts pouvaient compter jusqu’à sept épaisseurs et aucun assemblage ne comptait moins de 3 coutures. Le maître voilier qui les réalisa, lui confia, avec lassitude, l’adresse de son concurrent…
Moitessier graissait les écoutes, en nylon, produites par la Corderie Lancelin et raccourcissait régulièrement ses drisses préétirées (commandées plus longues pour le recouper et faire porter un morceau de drisse neuve sur les réas).
Côté équipements de navigation, Joshua emportait deux compas : un compas de cabine, fixe, toujours faux car non compensé (un vrai problème sur les bateaux acier), mais qui servait à surveiller “un cap” depuis l’intérieur. Et un petit compas de relèvement, que Moitessier utilisait debout dans le cockpit.
Pour se situer, un sextant, une radio et des tables. La radio longues ondes émettait un top horaire fiable pour effectuer les relevés quotidiens au sextant. Une droite de soleil le matin et une méridienne à midi suffisaient. Cartographie papier “pilot charts” océaniques à petite échelle et quelques cartes d’atterrissage à grande échelle en fonction des escales forcées, forcément imprévisibles ! Un loch à hélice Goiot (à la traîne) complétait l’équipement.
Pas de pilote automatique à bord mais un régulateur d’allures qui se comporte comme un pilote automatique en mode “vent”, consommation électrique et électronique en moins. Celui monté sur Joshua disposait de son propre gouvernail, le flettner, et d’une pale aérienne, la girouette. Il fonctionnait en permanence et permettait de mener le bateau, depuis le cockpit profond ou de l’intérieur, à l’abri d’une coupole offrant une visibilité panoramique.
Pour la communication, pas d'émetteur radio mais un miroir de signalisation (!) pour attirer l’attention des cargos de passage et les inviter à s’approcher , et un lance-pierre pour leur catapulter des messages emballés directement sur leur passerelle ! Le récepteur radio donnait, outre le top horaire, quelques prévisions météorologiques.
Tout au long de son voyage, Joshua a été débarrassé d’équipements inutiles d’une manière qui prête aujourd’hui à sourire. Si le moteur, les mouillages, l’annexe et bien des pièces de rechange sont restés à quai sous hangar, 100m de glène de mouillage, des caisses de nourriture, des mètres de chaîne ont rejoint les fonds marins, allégeant d’autant la partie avant du bateau. C’est qu’un navire chargé de l’avant risque de sancir (NB. Sancir c’est chavirer de l’avant en descendant d’une lame lorsque l’avant se plante) par gros temps. Et sancir c’est la fin du bateau. Point de ballasts sur Joshua mais de fréquentes opérations de matossage et d’amarrage qui rendaient les déplacements difficiles à l’intérieur mais garantissait la sécurité lors des fréquents chavirages.
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