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Le Maxim Gorki, le yacht de Joseph Staline

Le Maxim Gorki, le yacht de Joseph Staline

Lancé en 1934 par le plus important chantier soviétique de l’époque, à Nizhny-Novgorod, le Krasny Bogatyr (le chevalier rouge), devenu par la suite le “Maxim Gorki”, navire d'apparat de Staline et de la nomenklatura soviétique délassa, quinze années durant, les gros bonnets du régime soviétique…

Prévu pour un programme de navigation fluviale à longue distance

Les années 1930 en Russie Soviétique sont l'époque des grands travaux d'infrastructure. L’URSS, arriérée par des siècles de régime tsariste, puis ruinée par la guerre civile, l’échec de la Nouvelle Politique Économique et des famines qui en découlent, s'engage, sous le joug de Joseph Staline, le très peu bienveillant “Petit Père des Peuples”, dans de fantastiques et gigantesques travaux d’infrastructure.
C’est l'époque de l'industrialisation forcée de l'URSS, pendant laquelle le dictateur voulait rattraper, à tout prix, le retard économique existant entre la vieille Russie agricole tsariste et les économies occidentales.
Pour combler ce retard et développer le pays, le Petit Père des Peuples, très occupé à liquider toutes les classes sociales représentant, ou ayant représenté, voire pouvant représenter à l’avenir un risque politique pour lui, eut une idée lumineuse :
Mettre au travail forcé, pour réaliser les travaux d'infrastructure cruellement manquante à la jeune URSS, puis exterminer, par des privations pouvant aller jusqu’à la famine, les populations gênantes.
C’est ainsi que fut décidé par le Comité Central du Parti Communiste de l'Union Soviétique la construction de canaux à grand gabarit.

Un bateau conçu pour sillonner l’URSS par la voie d’eau

D’une longueur de 68 m pour 13 m de largeur, le Krasny Bogatyr était un yacht tout à fait exceptionnel à son époque, 1934.
Le bateau fut renommé “Maxim Gorki”, célèbre compagnon de Lénine et membre éminent de la nomenklatura, à la mort de l’écrivain en 1936.
Motorisé par deux groupes diesel de 1.100 HP, les mêmes que ceux installés sur les sous-marins de la classe “Decembrist”, fleuron de la flotte soviétique de l’époque, il atteignait une vitesse record de 20 nœuds.
A cette vitesse, le dictateur pourrait bientôt sillonner l’URSS via son réseau naissant de canaux, pour aiguillonner l’ardeur révolutionnaire de ses camarades.

Un style art-déco soviétique

Les meilleurs artisans (ou du moins ceux ayant échappé à la liquidation car cette classe sociale était considérée comme koulak -NDR. : petite bourgeoisie-) furent attachés au chantier. Les ébénistes mirent en œuvre pas moins de 17 essences de bois précieux.
Les cabines comportaient une salle de bains, avec eau chaude, et celle destinée au dictateur, ne disposait volontairement pas de fenêtres. Lugubre mais sûr, Staline redoutait de nombreuses vengeances.
L’ensemble du mobilier et des aménagements (plafonds à caissons, escaliers, parquets) fut réalisé dans un style Impérial Stalinien, mélange d’art déco et de classicisme.

Un réseau de canaux réalisé très vite

Partout en URSS, de vastes chantiers de nivellement et percement de canaux voient le jour. Fortement mis en valeur par la publicité politique soviétique, ces réalisations étaient aussi destinés à impressionner l’ouest.
Il fallait faire vite, à n’importe quel prix.
Le BBK, par exemple, (abréviation russe du canal de la Baltique à la mer Blanche), d’une longueur de 228 km fut creusé en 20 mois, dans des conditions dantesques par des températures de -40°C et au prix de 25.000 (chiffre état Russe) à 250.000 morts (estimation du dissident Alexandre Soljenitsyne) parmi les travailleurs forcés déportés sur le chantier.
Mais la prouesse de rapidité d’exécution cachait mal un travail bâclé.
Ce grand canal, destiné à permettre aux cargos de rejoindre la mer Blanche depuis la Baltique ne calait que 3,5 m de profondeur à la fin des travaux, le rendant impropre au fret maritime… Il en allait ainsi de bien des grands travaux.

La croisière s’amuse

Léonid Brejnev

Le canal Moscou-Volga, inauguré en 1937, permit au Maxime Gorki de prendre le large. C’est sur cette voie d’eau que le bateau passa l’essentiel de sa carrière.
Si la présence de Staline demeure difficile à prouver sur la durée tant le personnage s’entourait de secret, bien des dignitaires montèrent à bord pour profiter de ses aménagements, au cours de croisières diplomatiques ou orientées vers la détente.
Ainsi Léonid Brejnev, futur numéro 1 de l’URSS y prit à ce point goût au nautisme qu’il fera construire des yachts soviétiques (la formule fait sourire), Nikita Khroutchev y fut reçu, tout sourire, à plusieurs reprises par Staline avant de critiquer fermement le petit père des peuples une fois celui-ci disparu…
Le gratin des républiques satellites de l’Union Soviétique se pressait à bord du navire dont toutes les pièces étaient sur écoute.
Ce navire permettait-il aux dirigeants si démocratiquement élus de jouir du niveau du commun du peuple?

On ne transige pas avec la sécurité

La sécurité tournait à la paranoïa chez Staline, qui liquidait ses amis d’un jour à l’autre et les faisait ensuite disparaître de l’iconographie soviétique.
Ainsi les couloirs comportent tous des angles droits, ou se tenaient ses gardes armés, et les portes, étroites, étaient faciles à défendre.
Dans le même ordre d’esprit, le toit de la salle des machines comportait une verrière donnant dans le poste de pilotage, autorisant à la passerelle d'observer ce qui se passe dans ce lieu stratégique…
En se replaçant dans le contexte de l’époque, et se souvenant que l’ensemble de l'équipage appartenait aux services spéciaux (NKVD KGB), on imagine volontiers l’ambiance à bord…

Staline à bord

Une fin de carrière populaire

Plus ou moins décommissionné des missions diplomatiques en 1957, le Maxime Gorki est laissé à quai. Rénové au début des années 2000, il accueille des mariages et autres évènements festifs privés.
Devenu restaurant à quai en 2014, il est vendu en 2018 300.000 USD à la ville de Nizhny Novgorod qui l’a vu naître en 1934 et souhaite en faire un lieu de mémoire.

 

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