1 Octobre 2025
À la frontière franco-espagnole, Cerbère est une petite commune du littoral catalan connue pour sa baie singulière et son histoire intimement liée à la mer. Située au cœur de la Côte Vermeille, elle a longtemps vécu de la pêche et du commerce transfrontalier, avant de voir croître les activités nautiques et le tourisme balnéaire au cours du XXᵉ siècle. Aujourd’hui, l’association nautique de Cerbère perpétue un mode de gestion unique en France : l’installation et le démontage annuel d’un port de plaisance temporaire, conçu pour répondre aux besoins estivaux tout en respectant la nature et en s’adaptant aux contraintes météorologiques.
Chaque année, de la mi-mai à la mi-septembre, la baie de Cerbère accueille un port de plaisance pouvant abriter jusqu’à 230 bateaux. Vu du ciel, il ressemble à n’importe quelle marina méditerranéenne : pontons flottants, emplacements pour les plaisanciers, infrastructures temporaires. Mais à l’automne, tout doit disparaître. Contrairement aux ports permanents, les installations ne sont pas conçues pour résister aux tempêtes hivernales qui balayent régulièrement cette partie exposée de la Méditerranée.
Le maire, Christian Grau, le rappelle : « La baie de Cerbère est très exposée au Sud-Est. En 2011, un coup d’Est avait complètement détruit la digue qui nous abrite, qui a dû être reconstruite. Cette exposition ne permet pas de maintenir un port en dur toute l’année. »
Ainsi, la solution imaginée par la commune et son association nautique repose sur la flexibilité : offrir aux plaisanciers un port saisonnier en été, puis démonter entièrement les installations pour rendre la baie à son état naturel dès l’automne.
Le démontage est une opération complexe qui mobilise une cinquantaine de bénévoles chaque année. Les membres de l’association nautique se relaient pour désolidariser les pontons, retirer les chaînes, dévisser les boulons et ranger méthodiquement le matériel avant son transport. « On enlève les boulons, les chaînes, on les range et après, on les amène sur le camion. » explique Francis Blanchon, bénévole impliqué de longue date.
Sur l’eau, un bateau bélier piloté par Marc tire et pousse la vingtaine de pontons vers le quai, où ils sont hissés par une grue. Chaque manœuvre demande précision et coordination. « C’est un travail de précision, mais on s’entraîne. C’était ma troisième année de stage d’observation et je pense que l’année prochaine, c’est bon. » confie Aurore de Courville, jeune volontaire.
La solidarité est au cœur de cette opération. « Il faut faire très attention à tout, surtout aux hommes en premier. Mais aussi à la grue, qui est une vieille dame, on essaie d’en prendre soin, et surtout au camion. » souligne Élise de Haro, autre membre active.
Au-delà de la prouesse logistique, ce choix de port éphémère est aussi une réponse écologique. En évitant la construction d’infrastructures lourdes et permanentes, Cerbère préserve son littoral et minimise l’impact sur l’écosystème marin. Chaque automne, la baie retrouve son aspect naturel, libérée des pontons et des aménagements.
Cette alternance entre présence humaine et restitution à la nature s’inscrit dans une démarche de durabilité qui prend tout son sens face aux tempêtes de plus en plus fréquentes et violentes en Méditerranée, liées au changement climatique. Les ports fixes subissent régulièrement des dégâts importants, nécessitant des réparations coûteuses. Le modèle cerbérien, bien que contraignant, se révèle ainsi plus résilient.
Créée pour gérer ce port particulier, l’association nautique de Cerbère joue un rôle central. Composée de bénévoles passionnés, elle assure non seulement le montage et le démontage des installations, mais aussi la gestion quotidienne du port en été : accueil des plaisanciers, entretien du matériel, organisation des activités nautiques.
Ce modèle associatif favorise la participation citoyenne et entretient un lien fort entre habitants, plaisanciers et élus. Chaque année, l’opération du démontage devient presque un rituel collectif, symbole d’une communauté attachée à son littoral et à sa préservation.
L’expérience unique de Cerbère interroge sur la manière dont les petites communes littorales peuvent concilier développement touristique et respect de l’environnement. Alors que la pression sur les côtes méditerranéennes ne cesse d’augmenter, ce port éphémère illustre une voie alternative : s’adapter aux contraintes naturelles plutôt que de les affronter, et impliquer la population locale dans la gestion des espaces maritimes.
Si le démontage annuel représente un effort considérable, il est désormais bien rodé et valorise une approche pragmatique, à la croisée de la sécurité, de l’écologie et de la solidarité. Pour les plaisanciers, il garantit un abri estival fonctionnel ; pour la nature, il offre chaque automne un retour à l’équilibre.