23 Septembre 2013
Plaidoyer pour une gestion durable de l'Arctique.
Tara réalise actuellement une circumnavigation de l’Océan Arctique dans un but scientifique. Le bateau a passé le passage du Nord-Est fin août, il est maintenant sur le point de franchir le passage du Nord-Ouest.
Cette année, la carte des glaces en Arctique indique que la fonte de la banquise n’est pas aussi importante que le record observé lors de l’été 2012 ce qui, cependant, ne remet en aucun cas en cause la tendance au réchauffement observée ces dernières années. En effet, les sept plus importants minima de glace en Arctique ont eu lieu ces sept dernières années.
Après trois mois passés dans les hautes latitudes c’est l’occasion pour Tara Expéditions de prononcer un plaidoyer pour l’Arctique.
Pourquoi l’expédition Tara Oceans Polar Circle ?
D’abord, parce que Tara est une goélette « polaire » et que Tara Expéditions possède un savoir-faire rare dans ce domaine. Mais au-delà de la passion de l’aventure et de l’Arctique, Tara Oceans Polar Circle est une expédition scientifique qui vient compléter la collecte d’échantillons des écosystèmes marins réalisés entre 2009 et 2012 lors de l’expédition Tara Oceans. Ce travail de recherche en Arctique qu’il est important de réaliser maintenant permettra aussi de comprendre l’adaptation spécifique de cet écosystème, essentiel dans une région en plein changement. Tara navigue donc en ce moment en quête de connaissance et de science, mais aussi grâce à la passion de personnes engagées pour que l’Arctique soit considéré autrement qu’un paradis touristique « exotique », un passage obligé de cargos ou encore un nouvel eldorado pétrolier.
Plus ça fond, plus vous foncez en somme !
L’Arctique est un des derniers grands espaces naturels préservés de la planète, un écosystème fragile et unique abritant une biodiversité aussi riche qu’inconnue. Avec le développement industriel, la croissance économique et la pression des activités humaines, les changements climatiques modifient la région à une rapidité vertigineuse. Parmi ces changements, il y a la fonte brutale de la glace d’été, l’acidification de l’océan Arctique, le dégel du pergélisol en Sibérie et les menaces sur les espèces endémiques comme l’ours blanc de Sibérie. Ces phénomènes ont des conséquences sur la vie des 5 millions de personnes vivants dans le cercle arctique mais aussi dans le monde entier, et demandent une réponse globale et urgente. Nous pouvons avancer dans plusieurs voies en conciliant préservation, innovation et développement.
Malgré les progrès de la science et de la navigation polaire, les coûts logistiques de la recherche dans le Grand Nord restent très élevés. L’effort de recherche est par conséquent bien faible face à l’appétit des acteurs engagés pour exploiter les réserves de gaz et de pétrole de la région…
qu'en est-il des richesses biologiques ?
Il est important de rappeler l’importance de la biodiversité arctique dans la pompe à carbone globale, et le grand besoin de recherche pour apporter le maximum d’éléments aux prises de décisions futures. Au-delà du mirage d’un nouvel eldorado pétrolier, l’Arctique est un écosystème méconnu, qui peut contenir des nouvelles ressources biologiques pour répondre aux défis d’un monde en profonde mutation. La biodiversité du plancton polaire pourrait aider à produire de l’énergie, à trouver des applications pour la médecine et pour l’industrie. Les diatomées (plancton), par exemple, produisent leur squelette de verre (silicium) dans ces eaux très froides, alors que nous en sommes incapables sans des fours énergivores à haute température…
L’expédition Tara Oceans Polar Circle s’inscrit dans l’effort de recherche international pour mieux connaître la région et utiliser ses richesses de façon durable. Le projet rassemble des acteurs civils et scientifiques de plusieurs pays, qui croient à une gestion partagée et raisonnée de ces richesses. Au cours de son périple, Tara Oceans Polar Circle aura traversé 12 des 13 zones de haute importance écologique et biologique arctique définies selon les critères établis par l’ONU. Les données sur le plancton permettront de compléter les études menées actuellement pour définir les zones de riche biodiversité, en prenant en compte le plancton comme indicateur de santé globale des océans.
Vous parlez des coûts masqués de l’Arctique ?
L’analyse des coûts cachés du changement climatique en Arctique montre qu’aucun investissement ne sera durable s’il ne prend en compte les facteurs écologiques. Le dégel du pergélisol en Sibérie, par exemple, peut dégager tellement de méthane que le « coût » de ce phénomène est estimé à 60 000 milliards de dollars. Cet immense « puits » de méthane peut en effet avoir des conséquences imprévisibles pour le climat global. Ce gaz ayant une contribution à l’effet de serre 22 fois plus puissante que le C02.
Les recherches menées par des institutions françaises en pointe sur la question de l’acidification de l’océan[2] montrent que l’Arctique, où les eaux froides absorbent d’avantage le gaz carbonique que les régions tropicales et tempérées, est particulièrement touché par le phénomène.
Cette année, la carte des glaces en Arctique indique que la fonte de la banquise ne sera pas aussi importante que le record observé lors de l’été 2012. C’est certes une « bonne » nouvelle, mais qui en aucun cas ne remet en cause la tendance au réchauffement observée depuis 1981. De nouvelles prévisions scientifiques sont attendues à partir de fin septembre, quand le GIEC3 publiera la première partie de son nouveau rapport.
L’instauration de politiques de gestion durable des richesses minérales et biologiques en Arctique est un défi pour préserver la région. Différemment de l’Antarctique, l’Arctique n’a pas de statut international géré au sein de l’ONU. Créé dans l’objectif de protéger ses propres intérêts dans la région, le Conseil Arctique4 – formé par ses huit états riverains - avance au pas sur les enjeux de gestion durable et de préservation, et s’oppose aux demandes de sanctuarisation totale portées par les organisations écologiques. D’où le besoin d’une entente vers une gestion raisonnée des ressources, via des accords négociés, et la création de zones protégées (Aires Marines Protégés) pour sauvegarder à minima les zones sensibles d’un point de vue biologique et écologique.
Tara Expéditions appelle les décideurs avec la société civile à ce que des actions soient enclenchées, comme le respect des règles de protection de l'environnement dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles ; Un accès facilité pour les programmes de recherche en Arctique ; La mise en place de nouvelles normes internationales pour le transport maritime en Arctique ; La mise en place d’une réglementation de la pêche dans l'Arctique, actuellement en pleine expansion ; Une réglementation plus stricte du tourisme en Arctique ; L'établissement d’un réseau d'aires marines protégés pour les zones d’importance écologique ; L’élargissement du Conseil Arctique.
Combien de temps faudra-t-il attendre pour voir ces mesures sur la table de négociations ? La seule certitude est que, face à la rapidité des changements en cours, l’urgence écologique doit aller de pair avec l’urgence économique.
photo - V Hilaire - Tara Expéditions