Nautisme et yachting - La reprise, en octobre dernier, du chantier Privilège Marine, par le tchèque PPF Group ne lasse pas d'interroger, tant l'activité du chantier spécialisé dans les catamarans de luxe semi-custom, est à priori éloignée de l'activité des autres investissements réalisés par PPF dans le nautisme.

De fait, PPF Group est rentré sur le marché du nautisme et de la plaisance à la sortie de la pandémie de covid 19, avec les reprises successives de Navigare Yachting, spécialiste de la location de luxe de voiliers, puis du leader du marché, Dream Yacht Charter, majoritaire dans un partenariat avec le Groupe Bénéteau minoritaire, avant de rentrer au capital de Marinemax (8%), un gros distributeur américain de bateaux de bateaux de plaisance, très actif dans les boats clubs, et de racheter le constructeur de catamarans sud-africain Robertson & Caine, constructeur des Leopard, des bateaux exclusivement vendus aux loueurs Sunsail et The Moorings.

Pour un fonds d'investissement comme PPF, par ailleurs actif dans l'industrie lourde (locomotives Skoda), l'assurance, la banque, l'e-commerce, l'immobilier, les telecoms, et les médias, la rentrée sur le marché du nautisme et de la plaisance, consistait dans le développement d'un pôle de loisir grand public, respecteux de l'environnement, au travers d'une activité de location de voiliers.

Cette stratégie explique aisément l'acquisition de loueurs de renom - Navigare et Dream Yacht - mais aussi celle d'un constructeur de catamarans spécifiquement conçus pour la location : les catamarans Leopard de Robertson & Caine.

Une stratégie qui semble complète, bien que, pour cette dernière acquisition, il faille noter que la capacité actuelle du chantier basé près de la ville du Cap, est limitée aux unités exclusivement commercialisées par deux loueurs de bateaux, les sociétés Sunsail et The Moorings qui forment le groupe Travelopia, racheté par le fonds KKR pour 381 millions d'euros en 2017 et dont ce dernier pourrait se séparer cette année.

Ce rachat de Robertson & Caine, dans l'état actuel des choses, ne permet donc pas à PPF Group d'envisager de produire des catamarans pour Dream Yacht et Navigare, à moins d'en augmenter la capacité de production.

Privilège Marine : une histoire complexe ces dernières années

Si jusqu'à présent les différentes acquisitions réalisées par PPF Group suivent une ligne assez droite, la reprise du chantier français Privilège Marine semble moins simple à appréhender de prime abord.

Spécialisé dans les catamarans de luxe semi-custom, Privilège Marine produit une grosse dizaine d'unités par an sur son site de Port Olona, pour un chiffre d'affaires d'un peu moins de 15 millions d'euros. Des unités de luxe, de grande taille (51 à 75 pieds, 5 à 6 cabines), fortement personnalisées par leurs propriétaires, une clientèle aussi fortunée qu'exigeante, des caractéristiques qui rendent ce marché périlleux, toute la marge du chantier pouvant in fine se jouer en fin d'année sur un seul bateau, quand on produit aussi peu d'unités et que le Chef de Projet du Client est pointilleux lors de la réception...

Ces dernières années auront été éprouvantes pour Privilège Marine.

En difficulté, le chantier a tout d'abord été repris en 2019 par le groupe Allemand HanseYachts (Hanse, Dehler, Fjord, Sealine, Moody, Ryck), qui rêvait de se diversifier sur un marché porteur - les multicoques - avant de comprendre assez rapidement - les pertes d'accumulant - que le semi-custom n'était pas son marché. En octobre 2022, HanseYachts cède le chantier à vil prix, à un pool d'investisseurs composé de managers du chantier et de clients, et allège surtout son bilan futur des 7.8 millions d'euros de pertes du Français.

Depuis cette reprise, Privilège Marine a donc repris sa liberté, difficilement, poursuivant la modernisation de sa gamme, avant, semble t-il, d'être rattappé par des dissenssions entre associés et un manque cruel de capitaux, situation critique qui a conduit le management du chantier à rechercher d'urgence un nouvel investisseur lors du Yachting Festival, pour une reprise concrétisée en octobre par PPF Group. 

Quelle logique dans tout cela ?

A priori, quel est le rapport entre un constructeur de bateaux de luxe semi-custom, un peu vieillissants - à part le réussi Privilège 580 - et le leader mondial de la location de voiliers  qu'est PPF Group ?

Telle est la question que l'on est en droit de se poser en s'intéressant à cette reprise, sans doute bon marché, il est vrai.

Deux possibilités apparaissent rapidement à l'esprit :

• Faut-il y voir un départ de PPF Group vers le yachting de luxe semi-custom sur deux coques, façon Sunreef ? Il est vrai que l'insolent succès du chantier polonais fait des envieux sur le marché, mais nécessiterait de très gros investissements industriels et un solide plan produit. Le site de Port Olona ne semble pas être suffisant pour cela, avec une capacité technique d'une vingtaine de coques par an. Les difficultés techniques rencontrées par Bluegame sur ce marché laissent à penser que ce segment n'est pas forcément évident. Mais si on imagine une montée en production de Privilège à 20 bateaux vendus par an, à 3 millions l'unité, le chiffre d'affaires dégagé de 60 millions pourrait devenir intéressant pour PPF, si tant est que toute la marge ne fonde pas dans des palabres infinis, à la réception des bateaux, et des réserves qui se lèvent effectivement....
• Faut-il y voir l'opportunité de disposer d'un site industriel unique en son genre, au bord de l'eau de surcroît, en capacité de construire des unités de 51 à 75 pieds ? Des Privilège seulement ? Des Privilège ou une autre marque ? Ou une nouvelle marque ? En bref, un complément industriel de Leopard Catamarans ? Les coûts de production français ne plaident pas en cette faveur, mais qui sait, sur marché de niche, de type 55 pieds, multi-cabines ??

Les semaines et mois qui viennent devraient permettre d'y voir un peu plus clair, mais un fait est certain : PPF Groupe est devenu en moins de 3 ans un acteur incontournable du nautisme et de la plaisance, et ses développements ne sont sans doute qu'à leur début.

Mama mia....