11 Juin 2025
Le 10 juin 2025, le conseil d’administration du port de plaisance de La Rochelle a tiré la sonnette d’alarme. À ses yeux, une mesure discrètement introduite dans la récente loi visant à lutter contre le narcotrafic place les ports de plaisance dans une position intenable. Selon le texte, les autorités portuaires devront désormais identifier les navires de plaisance venus d’autres ports, collecter des informations sur leurs propriétaires, leurs passagers et leurs itinéraires, puis transmettre ces données aux services de l’État.
Pour les gestionnaires de ports, cette exigence revient à imposer à des entités locales des fonctions régaliennes normalement dévolues aux services douaniers ou à la police aux frontières. « Nous ne disposons ni des compétences juridiques, ni des outils techniques, ni des moyens humains pour assumer cette mission », résume le conseil d’administration rochelais, qui voit dans cette injonction un détournement manifeste de la vocation première des ports de plaisance.
En effet, la nouvelle réglementation semble ignorer les spécificités du monde nautique. Contrairement au transport aérien, auquel elle emprunte sa logique de contrôle, la plaisance ne repose pas sur des réservations anticipées. Les escales se décident souvent au gré des conditions de navigation, rendant impossible la collecte préalable des données. De plus, les agents portuaires — le plus souvent salariés de droit privé — n’ont aucun pouvoir de police. Ils ne peuvent ni exiger des papiers d’identité, ni interroger les plaisanciers sur leurs escales passées.
À La Rochelle, l’un des plus grands ports de plaisance d’Europe, la situation devient rapidement ingérable. En haute saison, jusqu’à cent bateaux font escale chaque jour. L’absence de logiciels adaptés pour gérer un tel flux de données, conjuguée à l’ampleur de la tâche, ferait peser une charge démesurée sur les équipes déjà mobilisées pour assurer la sécurité, l’accueil et la gestion technique du port.
Le port alerte également sur les conséquences juridiques pour ses responsables. En cas de manquement à cette nouvelle obligation, ces derniers pourraient être exposés à des sanctions pénales, alors même qu’ils n’ont pas les moyens d’y satisfaire. Une insécurité juridique qui, selon le conseil, met en péril la bonne gouvernance locale et la sérénité du service public portuaire.
Au-delà des considérations pratiques, c’est une vision de la liberté maritime qui est ici en jeu. La plaisance, activité de loisir profondément ancrée dans la culture littorale française, repose sur la liberté de circuler en mer. En instaurant un régime de contrôle systématique des escales, la loi rompt avec l’égalité entre usagers des différents modes de transport. « On ne demande pas à un automobiliste qui traverse plusieurs départements de décliner son identité à chaque arrêt », ironisent certains responsables portuaires.
Autre point de crispation : l’absence totale de concertation. Ni la Fédération Française des Ports de Plaisance, ni les associations nationales de plaisanciers, ni même l’Association Nationale des Élus du Littoral n’ont été consultées en amont. Le texte a été adopté sans dialogue avec ceux qui, pourtant, sont au cœur du dispositif censé être mis en œuvre.
Pour les responsables rochelais, cela ne revient pas à refuser la lutte contre les trafics illicites. Au contraire. Le port affirme son engagement dans cette bataille, mais appelle à une action proportionnée, concertée, et fondée sur des responsabilités claires. « Ce n’est pas aux ports de plaisance de se substituer aux services de l’État », rappelle la motion. Il demande donc solennellement trois mesures : la suspension de la publication des décrets d’application, l’ouverture d’une concertation avec les acteurs concernés, et le renforcement des moyens de contrôle en mer et dans les ports, confiés à ceux dont c’est le métier.
Ce positionnement révèle une tension croissante entre les impératifs sécuritaires de l’État et les capacités réelles des acteurs locaux. À l’heure où la plaisance joue un rôle de plus en plus important dans l’économie bleue et le tourisme durable, l’instauration de mesures jugées disproportionnées pourrait fragiliser un secteur en pleine transformation.
En filigrane, c’est toute la question de l’équilibre entre liberté et sécurité qui se dessine sur les pontons. Dans un climat de vigilance accrue face aux trafics, les ports demandent à être partenaires, non supplétifs. Et La Rochelle, en première ligne, incarne cette volonté de concilier engagement, responsabilité et respect des libertés fondamentales.