12 Août 2013
Après un mois et demi de visites, qu'il est difficile de reprendre la route en solitaire...
Un mélange de vide, de lassitude, de quête de sens. Ce qui est bien, dans ce type de voyage, c'est que tout est possible. J'envisage l'option de rentrer. Et ce qui est bien quand tout est possible et que l'on n'est obligé de rien, c'est que cette liberté fait voir le meilleur côté des choses. Il me reste des envies, et je n'ai pas fait mon tour de la question. Place à une nouvelle phase du voyage. Après la parenthèse de la traversée, les kilomètres avalés dans le Sud, dévorant des yeux la beauté des paysages, les vacances familières, je décide de me poser quelques temps dans un village. J'avais presqu'oublié que c'était dans ma liste de souhaits du départ. Reste à le trouver...
A Rumo Livre dans le Minas Gerais !
L'amie des coatis, à Paraty, dans ma famille carioca… depuis un moment, on me parle de l'état du Minas Gerais. On me dit que c'est un peu là que tout a commencé : la découverte et l'exploitation de l'or et des diamants à Ouro Preto (or noir) aux 17e/18e siècles, l'afflux des pionniers portugais, des esclaves africains, la construction des premières villes et églises, construites sur le modèle portugais mais déjà influencées par le brassage culturel brésilien, l'intérêt de la Couronne portugaise et la construction de la première route royale, "Estrada Real", destinée à faire venir les richesses d'Ouro Preto à Paraty, route rapidement truchée de bandits et bientôt remplacée par Ouro Preto-Rio de Janeiro (les cyclistes aux cuisses et aux mollets courageux ont donc, au choix, deux routes anciennes et mythiques jalonnées de villages splendides). L'enrichissement commun, les impôts, de plus en plus lourds, l'appauvrissement des mines, les impôts qui continuent à croître et… l'Inconfidencia. Le Minas Gerais est surtout l'état de cette révolution (avortée) contre l'empire portugais, fomentée en même temps que la nôtre, en 1789, par un petit groupe de "brésiliens" bien sous tous rapports, mais fatigués de l'appétit vorace de la Couronne qui importe les richesses et se paye grassement en impôts sans rien offrir en échange ! Quelle meilleure façon de connaître ce pays que d'aller jeter un coup d'œil dans son berceau ! Puisque je suis "A Rumbo Libre", va pour le Minas Gerais…
Sachons-le, le Minas Gerais n'est pas un longue fleuve tranquille. Un état grand comme la France, majoritairement composé de montagnes. Abruptes, très abruptes. Ça monte, ça descend, et ça recommence, sous la chaleur du soleil brésilien. Une terre rouge, ferrugineuse. Des chemins qui serpentent dans les montagnes, qui traversent des petits villages à l'architecture coloniale portugaise et aux églises baroques et rococo, beaucoup d'agriculture et d'artisanat, une culture gastronomique reconnue dans tout le pays (mmmh, le "pao de queijo", petit pain dont la mie contient du fromage…) Un bonheur. Sauf que je suis rincée, vidée par mon grand nettoyage intérieur. Nourrie de paysages désertiques, j'ai soif de culture, soif d'apprendre, soif de nouer des relations sociales durables. En quête de ce qui sera MON village.
La BO de ce petit bout de route est cette chanson, de Paula Fernandes : "Seio de Minas", une petite envolée lyrique bien chauvine...
Ces Brésiliens qui me redonnent la pêche
Sur cette Estrada Real, je vogue de plus en plus au fil des rencontres, sources de multiples surprises. Si les brésiliens sont généralement accueillants, les habitants du Minas Gerais le sont encore plus. Une bénédiction dans ce contexte de fatigue : je demande une place dans le jardin pour ma tente, on me donne une chambre ou même une petite maison. Je pense cuisiner, on m'invite à dîner, souvent du riz et des haricots noirs (arroz-feijao), qui mijotent à profusion dans de grandes marmites. Un soir, un employé hésite à me laisser camper. T'inquiète, je vais voir direct avec ton patron ! Le-dit patron arrive : tête et carure de russe. Sa maison est balèse. Petit interrogatoire, il me prend mon passeport, je le récupèrerai demain, en échange de quoi il m'offre une dépendance et un repas... Mal à l'aise, je suis. Il te nourrit ? Pour te mettre plus en chaire, ma chère... Il te donne une clé pour t'enfermer ? Pour que tu te sentes en sécurité… Voilà, je suis tombée dans un réseau de prostitution, je ne reverrai jamais mon pays. Et puis ma foi non, le lendemain matin, je récupère mon petit livret marron, l'histoire glauque attendra. Je crève dans les petits chemins de terre, un paysan m'aide à réparer et m'apprend à fabriquer des briques. J'arrive, épuisée, à Congonhas. L'hôtesse de l'Office du Tourisme me donne des chocolats, me suggère de passer la journée et la nuit là, sur la place, avec wifi, cuisine, salle de bain et gardiens de nuit. Je pose la tente, des têtes s'extraient, amusées, des fenêtres : je me trouve devant les locaux de Radio Congonhas, l'équipe m'invite à assister au direct et m'interviewe en portugais, moi qui baragouine en portuñol ! Réellement, ces Brésiliens du Minas Gerais me redonnent une pêche d'enfer.
Ouro Preto : Très très exactement ce qu'il me fallait...
Une pêche d'enfer, il fallait bien ça pour arriver à Ouro Preto : 60 km de montagnes. Mais la "galera" de Radio Congonhas me l'assure : "pousse jusqu'à Ouro Preto, tu vas ADORER !". La ville universitaire, de la culture, de l'artisanat, la ville de l'Inconfidencia. Je crève deux fois mais j'y arrive, ENFIN. Je croise les doigts pour aimer, j'aime déjà, je meurs d'envie de me poser. Par hasard, je passe devant l'Alliance Française : "à quoi puis-je donc vous servir ?". J'ai plusieurs idées et du temps, Raissa Palma, une grande ouverture d'esprit et un grand cœur, on discute quelques minutes et une heure plus tard, j'ai des pistes de projets et déjà plusieurs propositions d'hébergement chez ses étudiants. En un mois et demi, je ferai le tour de 9 maisons : du dortoir d'étudiants à la grande maison surplombant la ville… Les invitations pleuvent ! C'est bien niais et attendu, mais qu'il est bon de le ressentir si fort : tendre une main, prendre un risque, se lancer, c'est recevoir des dizaines et des dizaines de mains tendues ! Il est probable que je revienne croyante : les croyants diront que c'est Dieu qui m'a envoyée à Ouro Preto, qui m'a fait rencontrer Raissa. Je n'en suis pas encore là mais il y a à coup sûr quelque chose de plus que le hasard...
Je vais de surprise en surprise, de découverte en découverte, j'ai un emploi du temps de ministre, des projets qui fusent, je veux tout visiter, tout connaître, apprendre, tout me passionne, je bouillonne d'idées, d'envies : bref, grâce à Raissa et son réseau, grâce aux amis que je m'y fais, à Ouro Preto, je revis !
Mots en vrac :
La générosité : À voir la façon dont certains m'accueillent, je me demande parfois si je fais pitié ! Leur générosité me gênerait presque… A Rio, j'ai fait le plein de breloques, perles de rocaille et médailles, pour avoir, moi aussi, quelque chose à offrir à ceux qui me marquent. Bien m'en a pris sur ce continent religieux ! Avant de me voir partir, l'hôtesse de l'Office du Tourisme de Congonhas m'offre une médaille religieuse. On va éviter l'échange type Cartes Pokemon, j'ai justement une niniche de Quiberon, apportée par ma sœur, ça sera mon cadeau à cette passionnée de la France. "Je la garderai toujours en souvenir" Euh… mange-la, quand même, c'est une Caramel beurre salée, la meilleure…
La curiosité : Je peux donner les réponses avant d'avoir les questions, l'ordre et la nature diffère légèrement selon les pays mais c'est toujours sensiblement pareil (et posé dans les mêmes termes et avec la même intonation !). A part "D'où es-tu ?" et "Où et depuis combien de temps as-tu commencé ton voyage", les Sud-Américains me posent des questions bien spécifiques : tu es seule ? (SoSINHA ? // Andas SOLA ?) Tu n'as pas peur ? Comment ça t'est venu de partir comme ça ? Et ton fiancé, il t'a laissée partir ? (eh eh… plus délicat que de demander "tu es célibataire ?"). J'aime aussi particulièrement la question : tu es venue à vélo DEPUIS LA FRANCE ?? Comment te dire... L'océan, tout ça…
La clé : c'est drôle comme il me parait maintenant incongru de m'enfermer à clé, quand je suis hors des villes. Mes affaires sont toujours sur mon vélo ou dans ma tente : pas de clé ! J'ai confiance. De la même façon que "Ne pas avoir peur", "Avoir confiance" ne signifie pas "Être inconscient", il faut prendre ses précautions. Mais surtout, je sens de plus en plus profondément qu'en faisant confiance, on incite l'autre à en être digne, alors qu'une porte cadenassée avec murs barbelés et verre brisé rend amer. Alors quand le russe me donne une clé pour m'enfermer dans ma chambre en pleine cambrousse, forcément je flippe !
C. Rebours
"A Rumbo Libre en Amérique du sud"