15 Juillet 2013
Avril 2013 - Une bossa nova pour entrer dans Rio : A Garota de Ipanema (chantée par Sinatra, ça donne "The Girl of Ipanema").
On apprend au détour d'une expo photo que cette "garota" a vraiment existé, que c'était une jeune fille de bonne famille qui, traînant sa mélancolie sur la plage d'Ipanema, passait chaque jour devant les musiciens Tom Jobim et Vinicius de Moraes sans les regarder, leur inspirant ce morceau. Voici donc l'enregistrement du duo Tom Jobim / Franck Sinatra, qui la chantent en portugais et en anglais...
Une ville qui irradie d'une telle beauté naturelle et qui fait si "peur" ; une ville qui semble respirer au rythme du flux et du reflux de son océan sur ses plages immenses et au rythme "du" samba, ignorant joyeusement (ou pas d'ailleurs…) les zones d'ombre et de non-droit qui se trouvent à quelques "cuadras" ; une ville dont des quartiers pleins à craquer la semaine se vident et deviennent craignos le week-end, et inversement ; moi je ne connaissais pas. Rio regorge de points de vue magnifiques. Et les meilleurs sont certainement ceux que l'on a depuis les favelas. Voilà, impossible de les ignorer. Le paysage est splendide et mes yeux sont irrémédiablement attirés par ces grappes que l'on appelle désormais "comunidades"… Voyeuse ? Attirée par la pauvreté ? Je crois que non... Plutôt fascinée.
Heureusement que les Européens ont découvert le Brésil !
Bienvenue dans la baie de Rio de Janeiro ! Un malentendu vieux comme le Nouveau Monde : le portugais qui y a jeté l'ancre en janvier (Janeiro) 1502 pensait se tenir devant l'embouchure d'un grand fleuve (Rio). Il était si content de sa "découverte", qu'il l'appelée Fleuve de Janvier. Et le nom est resté. D'où que l'on se place, on aperçoit un mélange de "mata" (forêt), de "morros" (montagnes, collines), d'immeubles et petites maisons enchevêtrées, l'Océan bien sûr et, souvent, le Corcovado. Mais d'où que l'on se place, il est pratiquement impossible d'avoir une vue panoramique sur tout Rio. C'est pourquoi on se dit "Tiens, Rio n'est pas si grande, finalement...". Tu parles, Charles. 6 millions d'habitants, 3 fois plus que Paris. Et il ne s'agit même pas de la capitale ! Capitale, Rio de Janeiro l'a été pendant 200 ans, après Salvador de Bahia et avant Brasilia, à l'époque de la "découverte" de l'or.
"Découverte". On vous ressert le mot à toutes les sauces. Des Amériques, de l'or... Ça m'agace un peu, au début. On dit que le pays a 500 ans, comme si rien n'avait existé avant l'arrivée des Européens. Un petit arrière-goût de "Nos ancêtres, les Gaulois" ! Puis j'ai fini par comprendre que la date est cruciale pour la société brésilienne d'aujourd'hui car celle-ci est totalement issue de cette époque : pas mal de Portugais et, plus largement, d'Européens, beaucoup d'Africains, mais bien peu d'Amérindiens, il paraît qu'ils ne faisaient pas de bons "travailleurs", ils étaient feignants et mourraient un peu trop vite… Et comme il n'y avait pas beaucoup de femmes blanches, dans ce nouveau monde, les esclaves noires ou amérindiennes faisaient, ma foi, bien l'affaire.
Couleur café
D'où une particularité propre au Brésil : malgré la "jeunesse du pays", le mélange des "races" s'est fait depuis ses débuts, créant une teinte café au lait bien spécifique. Et les Brésiliens me demandent si c'est vrai que chez nous les Blancs se marient avec les Blancs, les Noirs avec les Noirs. J'aurais envie de dire que non, mais Blacks-Blancs-Beurs, c'est bien chez nous… Et comme rien n'est jamais simple, on me dit souvent "eu sou pretinha" ("moi je suis noire" ou plus littéralement, mais politiquement totalement incorrect "une petite négresse" : "preto" servant à désigner un OBJET de couleur noire, c'est ainsi qu'on désignait les esclaves. Ne pas me tromper, ne pas me tromper quand je veux parler d'une personne ou d'un objet !). Derrière la teinte qui m'apparaît un peu uniformément café au lait, se cachent donc des traits et une ascendance plus ou moins "noire", tout le monde sait d'où vous venez. D'ailleurs, le Brésil a créé des quotas pour les Noirs dans les universités, afin de réduire les inégalités.
Je ne sais plus qui a dit "Ce n'est pas abolir l'esclavage qui sera difficile mais plutôt en finir avec ses conséquences", un truc comme ça... En même temps, j'ai vu des gens vivre avec leur famille dans une partie de la maison des employeurs ou dans une maisonnette sur un bout de leur terrain, payés une misère "puisqu'ils habitent la maison" et, même si les avis sont partagés sur la question et que la loi donne de plus en plus de droits aux employés de maison (ils partent de loin…), je me dis que non, l'esclavage n'est pas si facile à abolir !
Bon, Rio, Rio !!
Donc à première vue, Rio ne m'apparaît pas immense. En oubliant, évidemment, qu'il s'est passé une heure entre le moment où nous entrons dans la périphérie et celui où le moteur du car (de luxe) s'arrête. A vélo, je me sens peinarde. Tout de même, en rejoignant notre maison d'accueil franco-portugaise à Laranjeiras, depuis la station de bus, j'ai le cœur qui bat "je pédale dans Rio de Janeiro !". Il y a même quelques pistes cyclables. Tout ce qui m'entoure est mythique : le Sambadromo, où défilent les écoles de samba pendant le carnaval de février, l'imposant Corcovado "Christ Rédempteur", le Pao de Azucar qui surgit de la mer, les plages de sable blanc qui longent la ville avec leurs terrains de foot-volley, leurs séances de fitness et leurs joggeurs, Tijuca, la forêt dans la ville, et les favelas, qui sont les seules à grignoter dans les morros verts. Je pensais ne rien connaître de Rio : faux. Mine de rien, cette ville rayonne et j'en connais bien plus de petits bouts que de Santiago du Chili ou Buenos Aires ! Tout ceci est terriblement banal mais je dois l'admettre : j'aime Rio...
Un musée d'art tout neuf dans une zone portuaire "à revitaliser"
C'est dans la zone portuaire, au nord, que le musée mar (museo do arte do Rio) a ouvert ses portes en mars dernier. Comme la Fundación Proa, à Buenos Aires, comme le MacVal à Evry, de l'autre côté du périphérique parisien, l'art contemporain, celui qui interroge, qui bouscule, qui veut intégrer le public, s'installe à l'écart des centres touristiques "classiques". Ça paraît logique et intelligent, ça n'est pourtant pas si courant. Dommage. Mais je l'avoue : je n'ai jamais mis les pieds à Evry...
La terrasse de ce musée offre une jolie vue sur le pont qui traverse la baie pour relier Rio de Janeiro à Niteroi. Ce pont en acier de 13 300m de longueur a été conçu avec un espace et une hauteur suffisants, entre ses deux piliers centraux, pour pouvoir laisser passer les cargos.
Expo sur Rio et ses représentations, collection privée… Joli, intéressant. La surprise arrive au premier étage : une exposition sur les "comunidades" (puisqu'on ne dit plus "favelas", trop discriminant. Certainement comme seuls les noirs peuvent utiliser le terme "pretos" pour parler des noirs). L'expo nous propose une plongée dans ces quartiers interdits... Une maquette réalisée par des habitants, l'interview d'un traficant, des bribes de projets culturels et artistiques qui y ont été réalisés. L'expo est bien faite, elle nous offre une première incursion dans ces quartiers, laisse apparaître leur bouillonnement, leur donne la parole, donne envie d'en savoir plus. En ce moment, pour ne pas ramollir du cerveau, me tenir au courant, et apprendre tout un tas de trucs, j'écoute des podcasts de Radio France. Ma nouvelle passion. J'y apprends que Le Cap Vert investit dans la culture et stimule le talent des habitants des quartiers pauvres. Les idées n'appartiennent à personne, elles volent et les hommes s'en emparent, disaient plus ou moins Garcia Marquez.…
La favela, la vraie, pour votre plaisir Msieurs-Dames, grâce au "Favela Tour" !!
Mes amis brésiliens seront fâchés de voir que je parle des favelas. Parce que "le Brésil, c'est autre chose que Favelas - Foot - Carnaval !" Oui oui, je sais, mais l'histoire du Brésil, son métissage, ses inégalités, ses favelas, tout cela me fascine... Et je ne suis visiblement pas la seule, à voir l'offre touristique qui cartonne : le "Favela Tour" ! Là oui, je trouve ça voyeuriste. Une bonne favela, ça se mérite ! :-) Et moi je n'ai pas osé m'y aventurer toute seule à pied à Rio...
Mais ma famille d'accueil a une vue plongeante sur celle de Laranjeiras :-). Rattrapage. On s'attend à de la tôle, du carton : que nenni ! Les maisons des favelas cariocas sont en dur, colorées ; faites un peu de bric et de broc, ça oui, mais comme dans beaucoup d'endroits au Brésil ! Et ce qui, au bord de la mer, donne un mignon petit village de pêcheurs, à Rio donne une favela.
A l'origine, quelques maisons construites dans le "morro". On dégage la terre, rien ne se passe, on commence à monter les murs en briques parpaings, toujours rien, on continue... (sans permis, bien entendu !) Puis on ajoute des pièces ou des étages, au fur et à mesure que la famille grandit ou qu'on a de l'argent. Pas d'éléctricité, pas d'eau courante, on se rallie sur ce qu'on peut. Pas de routes, des entrelacements de chemins de terre, des escaliers, les maisons grignotent peu à peu sur le morro : les chemins se créent selon les besoins. D'ailleurs on y circule principalement en moto.
Le gouvernement souhaite normaliser tout ça : on installe l'électricité (gratuite ou presque), l'eau, des routes, des écoles. Mais parfois, les habitants qui n'ont jamais payé rechignent à mettre la main au porte-feuille. Le tout-à-l'égoût et la gestion des déchets ne sont visiblement pas encore à l'ordre du jour : quand il pleut, le tout ruisselle le long des montagnes, pour se jeter dans l'océan. On évitera donc de se baigner osur la sublime plage de Copacabana...
N'empêche que je veux les connaître, ces quartiers de la débrouille... Je garde ça pour plus tard.
Trafic, bains de soleil et bricolage naval.…
A Rio, moi aussi je fais du trafic : j'échange l'amie dos coatis contre mes "pais" et, surprise, ma "irmae" ! La famille, quoi… Nous laissons la bici en pension à Laranjeiras et partons pour Buzios, Ilha Grande et Mambucaba.
Avant d'embarquer pour Ilha Grande, nous traînons sur la plage et assistons à une réparation de coque de bateau. Une planche a été découpée et poncée à cet effet, il s'agit maintenant de l'insérer entre les deux autres planches et de lui faire suivre la courbe de la coque… Et ça n'est visiblement pas une mince affaire. Ils sont trois à mettre des étaux, des bouts de bois, marteler, tirer, pousser… pour finalement fissurer la planche, qui ne résiste pas à la courbure. Ça ne semble pas affoler le charpentier, qui ajoute un clou à côté de la fissure.
Sur l'île, une randonnée nous amène sur une plage de sable blanc. Presque personne : le paradis. En arrivant au "village" qui paraît désert, il faut se signaler au vigile. Soit. Sur la plage, un vieil homme répare une barque. Nous nous approchons et entamons la discussion, en portugais s'il vous plaît. Le monsieur est "preso". C'est pas évident de papoter dans une langue qu'on ne maîtrise pas, on a peur de mal comprendre ! Non non, nous avons bien compris, Julius est bien le plus ancien pensionnaire de la prison d'Ilha Grande. Quand elle a été rapatriée sur le continent en 1994, on l'a laissé là. Quoi qu'il ait fait (et ça devait pas être canon canon pour en prendre pour tant d'années…) c'est une belle façon de laisser finir sa vie à un monsieur de 90 ans !
Le chapitre côtier, celui des visites, s'achève, je pars seule vers l'intérieur, le Minas Gerais, il parait qu'il y a une jolie Estrada Real.… Au moment de prendre la route, je découvre à Laranjeiras ma chanson préférée du moment : Romaria, par Elis Regina, qui dit qu'elle est "caipira", une campagnarde, quoi !
C. Rebours
"A Rumbo Libre en Amérique du Sud"
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