7 Mai 2013
Février 2013 - De passage dans la caverne d'Ali Baba des passionnés de nautisme : chez les "astilleros" du Rio de la Plata…
3000 km de côte argentine et pas un bateau de plaisance ou presque. Et puis Buenos Aires et le Rio de La Plata… Ils sont là ! Des milliers de voiliers, bateaux à moteurs, barques, avirons, kayaks… et surtout les centaines de chantiers navals (astilleros) pour les construire et les envoyer dans le monde entier. Des séries, bien sûr, mais surtout du sur-mesure, car la fabrication est artisanale et les argentins sont les rois de la débrouille.
San Fernando, sur le Rio de la Plata : je suis arrivée, sans le savoir, dans la "capitale nationale du nautisme". Certes, depuis Buenos Aires, les clubs nautiques se succèdent de manière effrenée mais c'est à partir de San Fernando que commencent à fleurir les premiers "chantiers navals" tels que je les aime. De simples hangars, parfois très hauts, dans lesquels s'entassent des moules de bateaux, des coques sous plastique, des établis, des meuleuses… Je suis à l'heure argentine, je m'approche et demande "permiso" pour entrer visiter. Le propriétaire me présente ses 24, 29, 36 et 41 pieds qu'il réalise selon les plans envoyés par Oceantech. Tout est fabriqué dans ce hangar, sauf le mât. La fabrication d'un voilier m'apparait beaucoup plus artisanale que ce que j'imaginais ! Je découvre les matériaux (résine, fibre de verre… ) et le fonctionnement des moules, qui permettent de couler et démouler des coques et des ponts aussi proprement que des Flamby. Ils ressemblent à des squelettes de baleines, ces moules…
Je réenfourche ma bici et m'arrête au coin de la rue, chez Raponi. La sciure vole et recouvre chaque millimètre de ce hangar au milieu duquel trône en sompteux yacht vernis. Trois hommes y meulent des planches, ils restaurent et construisent des bateaux en bois sur-mesure. En m'invitant à grimper à l'echelle, Marcelo m'explique : "Nous construisons des yachts aussi beaux que ceux des italiens, et même meilleurs car les nôtres sont entièrement en bois. Mais nous les vendons moins chers que les italiens !"
Je confirme, tout est en bois, ça parait presque un jeu d'enfant à fabriquer. Le chantier démarre généralement la construction du bateau avant même d'avoir un acquéreur. Celui de ce yacht-ci se fait attendre, surtout son argent, car fabriquer un tel bateau coûte cher : la petite merveille patientera pour voir son cockpit se finaliser ! L'histoire ne dit pas s'ils sont aussi bons dans la reproduction du logo italien… En attendant, les artisans se concentrent sur les commandes de restauration. Un autre astillero me fait visiter une immense vedette en construction. Absolument TOUT est en bois, y compris l'escalier intérieur, la chambre... Etais-je la seule à penser que tout était industrialisé et que le bois disparaissait peu à peu au profit du plastique dans la construction d'un bateau ? En tout cas, c'est agréable de les regarder œuvrer, le mystère s'éclaircit, je comprends mieux qu'on puisse envisager de construire soi-même son voilier.
En route, j'apprends que Riotecna, l'un des 4 chantiers au monde possédant la licence pour fabriquer des optimists, se trouve également à San Fernando ! Immanquable. Jorge les ponce à la main. Les enfants peuvent être assurés que leur bateau-fétiche est conçu avec amour et attention !
Plus loin, le fabricant/réparateur de zodiacs et vedettes est aussi fabricant de rails ! Tant mieux, je n'ai pas encore observé COMMENT s'appliquait la fibre de verre sur une coque de bateau, j'apprendrai sur un rail puisqu'il s'agit de la même technique ! Une feuille de fibre de verre, on badigeonne de résine, une autre feuille, encore de la résine, on applique le tout sur le rail, et on recommence. Cette fibre de verre est d'une finesse et d'une douceur telles qu'il est difficile de croire que la solidité du bateau reposera sur elle.
Juan Pablo Duarte, conservateur du Musée du Nautisme de San Fernando, m'explique cette tradition et la faculté de la région à concevoir toutes sortes d'embarcations. A leur arrivée en Argentine, les grands navigateurs qu'étaient les Gênois ont poursuivi leur activité de construction de bateaux, mais ils ont du faire avec les moyens du bord, développant un grand sens de la débrouille si loin de tout l'équipement italien. Par ailleurs, Peron ayant largement contribué à développé le sport et les clubs, ces argentins d'origine italienne ont commencé à remporter des médailles et à participer aux championnats nautiques dans le monde entier. Lors des championnats en Europe, ils prenaient en photo les bateaux qu'ils voyaient, et rentraient les faire reproduire dans leurs chantiers ! La débrouillardise locale, l'économie florissante et l'impulsion étatique ont ainsi largement favorisé l'essor de l'industrie nautique entre 1900 et 1960 et tous ces chantiers ont conservé l'ensemble des matrices de l'époque. C'est pourquoi on peut si facilement s'y faire construire un large éventail de bateaux, y compris des modèles qui ne se font plus en Europe ! Chris Craft, Casel, Regnicoli, Bermuda Caribean…
Au fil de mes pérégrinations, je me retrouve à Tigre, où l'on construisait des cargos et des péniches. Mais le tourisme grignote sur les chantiers navals, et le directeur de Petrotank n'est pas très optimiste : ces chantiers mourront ou se transféreront à Buenos Aires...
Lui-même ne construit plus, il restaure des cargos et fait du gardiennage, voire du cimetière car rien ne dit que celui qui occupe son quai depuis un an décrochera de nouveaux contrats. Pas de chance pour le commerce local : le Rio de la Plata charrie sa boue et les eaux, entre Tigre et le port de Buenos Aires, sont bien peu profondes. On raconte que pendant les tentatives d'invasion des anglais, un gaucho argentin a attendu patiemment que la mer baisse pour prendre un bateau anglais, échoué sur un banc de sable !
Mais restent les petits chantiers, qui feront le bonheur de qui veut tout connaître sur la construction des bateaux, surtout anciens…
C. Rebours
"A Rumbo Libre en Amérique du Sud"
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