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Interview - Capucine Trochet et Tara Tari au Cap Vert

nicolas venance - redacteur en chef actunautiqueAprès 11 jours de mer éprouvants, Capucine Trochet a rejoint Le Cap Vert à bord de Tara Tari. Elle nous raconte cette traversée épique sur ActuNautique.

 

 

Capucine, nous vous avions quittée alors que le départ de Lanzarote se préparait. Nous vous retrouvons au Cap Vert. Le périple de Tara Tari est donc reparti et son sourire sur l'Atlantique commence à se dessiner. Avant de parler de la traversée en elle même, comment se sont passés les préparatifs de cette seconde partie du voyage ?Un planning chargé, je suppose, et une grande impatience de reprendre la mer ?

 

Arrivée fin mai à Lanzarote, il n'était plus possible de poursuivre en Atlantique car la période de cyclones commençait (mi mai - mi novembre).

 

Cette période à terre s'est très bien passée, Lanzarote est une île super. J'ai reçu un excellent accueil à la marina Puerto Calero et j'ai pu préparer la suite de mon périple dans les meilleures conditions possibles. Le bateau sorti de l'eau, j'ai fait un chantier nécessaire: quelques réparations au niveau du safran notamment, j'ai changé les deux étais, fixé un système de blocage des dérives, viré l'arbre d'hélice et bref, plein de petites optimisations.

 

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En revanche, dans ma préparation, pas d'impatience de reprendre la mer : j'ai un rapport au temps qui peut surprendre, mais je vis très calmement, il n'y a pas d'urgence. Je vis pleinement chaque instant et je repars en mer au moment venu. Au moment venu naturellement qui ne correspond pas forcément à la date prévue. Je pensais partir des Canaries mi novembre et finalement je suis partie mi-décembre. C'est le rythme de ma vie en mer (et à terre). Au jour le jour.

 

Après 6 mois à terre, quelques petites navigations côtières à Lanzarote, quel est le souvenir le plus marquant que vous garderez justement de Lanzarote, si tant est que l'on puisse n'en retenir qu'un seul ?

 

Difficile en effet de ne retenir qu'un instant. Les quelques jours de navigation autour de Lanzarote et ce que j'ai vécu sur l'île de Graciosa ont été des moments de bien-être rare. Pêche de quelques sardines, les noix de coco, le silence, les milliers d'étoiles... Il n'y a rien ni personne et c'est reposant. L'île de Graciosa restera l'un de plus beaux moments de ma présence aux Canaries.

 

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Au moment du départ, avec devant vous 11 jours de mer jusqu'au Cap Vert, quel a été votre sentiment en larguant les amarres  ?

 

Je me sentais bien. Sans euphorie. Il faut savoir rester dans la mesure. Départ du ponton à la voile, sans personne sur le quai, j'aime les départs discrets car je n'aime pas trop les au revoir. Je devais partir mi-novembre, mais mon équipière s'est désistée au moment même de larguer les amarres, donc tant que l'on est pas parti, le départ n'est pas sûr. Après cet incident, je suis partie caboter dans les îles en attendant une nouvelle bonne fenêtre.

 

Le matin du départ, mon équipier de Gibraltar, Maxime, m'a fait la surprise d'arriver! Il savait que je tenais à faire cette nav en double, et comme il était disponible, il est venu. J'étais ravie, c'est vraiment un ami. Pour le vrai départ, j'étais heureuse de continuer le voyage et aussi un peu nostalgique de quitter cet endroit car j'ai vraiment passé de très très bons moments à Lanzarote. J'ai fait de très belles rencontres là-bas, mais ma petite vie de nomade avec Tara Tari implique d'avoir le coeur serré pendant quelques minutes avant de se réjouir d'avancer encore.

 

Quelle était la difficulté de cette étape d'un point de vue navigation, et comment s'est -elle déroulée ?

 

C'était éprouvant! Des îles Canaries au îles du Cap Vert, la navigation n'est jamais très simple sur tout le parcours, à cause du vent fort, mais surtout de la houle grosse et croisée. En quittant les îles Canaries, il faut bien gérer les accélérations liées aux effets Venturi. Le vent et la mer sont alors périlleux sur les zones concernées. Ensuite, après les îles, la houle a été forte et croisée. Vu du bord de TaraTari (au ras de l'eau), on est vite dans des conditions très impressionnantes : les vagues déferlent, venant de derrière et de côté. La gestion des déferlantes a été éprouvante. Les conditions ont été plus musclées qu'annoncé. La navigation a été vraiment dure et je suis contente de ce que nous avons fait et de la manière dont nous avons navigué. Les choix étaient bons et à mon sens, il n'y aurait rien eu à faire différemment. Nous avons formé un super duo.

 

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Des rencontres marquantes en mer ?

 

Pour la première fois de ma vie, j'ai fait la rencontre d'une orque! C'était le 24 décembre et c'était très impressionnant. L'orque a surgi à 30 mètres de l'étrave et a plongé avec puissance sous le bateau! Face à face aussi beau qu'effrayant. Une masse sombre passait et repassait sous le bateau, mon coeur battait fort et le souffle de 6 baleines autour a crée une ambiance très particulière. En étant à seulement quelques centimètres de la surface de l'eau, ce genre de rencontre et ce genre de moment sont très intenses.

 

TaraTari a été aussi accompagné par de nombreux dauphins tout au long du chemin, et les deux derniers jours, des requins ont pris la relève, nous ont accompagné jusqu'en approche des îles. Superbe!

 

Et Tara Tari dans tout cela, comment s'est-il comporté ? Et comment va cette vieille murène de DjianDong, votre moteur ronchon ?

 

Tara Tari s'est très bien comporté mais la nav a été éprouvante pour lui aussi. A cause de la houle croisée, il s'est couché 6 fois, avec la tête de mât et les voiles dans l'eau. Ca fait mal au coeur, mais heureusement il s'est toujours redressé. Et au final rien n'a cassé! Il est petit mais bien solide, mon beau petit bateau. Les déferlantes ont arraché les pilotes automatiques et régulateur d'allure que j'avais bricolé. Mais tout cela n'est pas important tant que la coque, le gréément et l'équipage vont bien. Arriver après ces 11 jours dans le vent fort et dans cette houle croisée, sans rien avoir cassé, a été une vraie satisfaction.

 

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Quant au moteur, il est toujours dans le bateau car il fait partie du lest, mais lors du chantier que j'ai fait à Lanzarote, j'ai retiré l'arbre d'hélice, bouché le tube d'étambot par une bonne strate bien étanche. De toute façon depuis le début, depuis novembre 2011, je ne me suis jamais servie du moteur.

 

Certains qualifient votre recherche de simplicité, l'ascétisme de votre démarche, d'extrême, voire ne semblent pas la comprendre. Peut-on dire que votre périple comprend une forme de spiritualité, notamment dans les périodes de navigation en solitaire ?

 

Je crois que mon état d'esprit ne change pas en fonction du sol : je suis la même à terre et en mer.

 

Il est peut-être plus facile pour moi de trouver la sérénité en mer plus que dans une fouille grouillante à terre, mais je pense réfléchir de la même manière à terre. Ce que je ressens, seule en mer, je l'ai souvent ressenti en pleine montagne. J'essaie simplement de vivre en cohérence avec mes convictions, où que je sois, tout en restant ouverte et respectueuse de ce qui m'entoure.

 

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Au terme de cette navigation, quel a été votre premier réflexe en débarquant au Cap Vert ?? Et votre premier sentiment par rapport à l'ïle ??

 

En arrivant sur l'île de Sao Vincente, au Cap Vert, je suis restée concentrée jusqu'à ce que le bateau soit bien amarré. Une fois les voiles ferlées, j'ai été sur le ponton et je ne tenais pas debout (il faut dire que c'était la première fois depuis 11 jours) alors je suis aussitôt remontée à bord.

 

J'ai enlacé le mât de Tara Tari, je l'ai félicité et remercié. Mélange de joie et de fatigue. C'était si fort, si intense, cette nav.

 

Maxime, quant à lui, est parti marcher sur toute la longueur du ponton, on était si heureux d'être arrivés ! Nous nous sommes félicités pour ce que nous venions de vivre, de réussir. Il y avait beaucoup de monde sur le ponton, beaucoup de personnes qui m'avaient vue à Lanzarote, ils ont filmé, pris des photos, c'était sympa mais j'étais un peu perdue. J'étais dans un état étrange, en flottement total. Après coup, quelqu'un m'a dit "à ton arrivée, on aurait dit que tu revenais de l'espace, de Mars ou de très très loin".

 

 

Propos recueillis par Nicolas Venance

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