11 Mai 2015
Jérôme Heilikman, responsable de la rubrique juridique d'ActuNautique.com et président de l'association Legisplaisance, décortique le statut juridique des navires de plaisance !
Autant de questions auxquelles nous allons tenter d’apporter des réponses…
Des siècles durant, le navire était davantage perçu que défini. Dans l’imaginaire populaire, le navire était à la fois une œuvre architecturale aux lignes élégantes, et une invitation au voyage et à l’exotisme. Si aujourd’hui, s’opère un décalage entre cet imaginaire populaire et la réalité, force est de constater que la notion de navire en elle-même n’a jamais été approfondie, tout au plus existe une impression du sens commun du navire.
Dans l’esprit de chacun, un navire s’apparente à un bâtiment qui doit flotter et résister aux agressions de la mer, tout en étant apte à se mouvoir. Le navire se caractérise par son aptitude à tenir la mer et son affectation à un service de la mer. Il n’est pas autre chose que la prise en considération par le droit, du navire dans le sens matériel et technique du terme, c'est-à-dire en tant qu’instrument de domination de la mer.
Pourtant, malgré ces apports doctrinaux, il n’existe aucune définition précise du navire dans les principaux textes fondateurs du droit maritime.
Le navire : un bien meuble
Les navires sont appelés par nature à circuler. Le navire est un engin flottant qui se déplace sur les mers, sa fonction est d’acheminer quelqu’un ou quelque chose d’un point à un autre. La mobilité qui le caractérise est en fait juridiquement un bien meuble par nature.
En ce sens, l’article 528 du Code civil dispose « Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère »
Plus précisément, le Code de Civil lui consacre cette qualité à l’article 531 : « les bateaux, bacs, navires…sont meubles, la saisie de quelques-uns de ces objets peut cependant, à cause de leur importance, être soumises à des formes particulières ». Mais ce meuble est un meuble spécial soumis dans de nombreux cas à des régimes spécifiques.
Ainsi, le navire, malgré qu’il soit un bien meuble, va échapper à l’article 2279 du Code Civil. En effet ce sont des meubles si onéreux et de nature si particulière que leur statut juridique a donné lieu à la plus grande attention du législateur. En particulier, ce dernier fixe un certain nombre de règles générales ayant vocation à leur être appliquées collectivement (immatriculation, pavillon). Les navires génèrent aussi des obligations et des responsabilités de toutes sortes. L’armateur doit pouvoir y faire face, au risque de perdre son bien ou de compromettre son activité.
Le navire : un bien immeuble
Le navire est, par essence, un bien meuble mais un meuble fortement individualisé, son nom, son port d’attache et son immatriculation en attestent. Le navire s’apparente à un bien immeuble car il doit nécessairement être immatriculé et doté d’une nationalité.
Il n’est pas à proprement dit un bien immeuble, mais sa valeur économique l’en rapproche. Son individualisation et son immatriculation sont soumises à des procédures spécifiques ; le navire peut être hypothéqué ; et la procédure de saisie ressemble aux saisies immobilières.
Le navire : une personne
Le navire est souvent assimilé à un objet, une chose vivante. En matière maritime, pour désigner une affaire, on la rapporte au nom du navire impliqué dans le contentieux. Les parties sont occultées par le navire. Juridiquement, le navire est responsable de lui-même, en cela il diffère des véhicules terrestres.
Le concept de navire
La difficulté concernant la nature juridique du navire trouve son origine dans le concept même de navire. Il n’existe pas de définition commune du navire mais des définitions contenues dans différents textes. Le droit français ne connaît aucune définition du navire. Il n’existe en effet que des définitions spécifiques régies par des Institutions ou des critères administratifs, critères pourtant insuffisants pour cerner une notion autour de laquelle s’organisent les règles spécifiques du droit maritime.
En droit international, les travaux de codification conduits par la Commission du droit international ont tenté de cerner cette notion en avançant dans un rapport du 1er mars 1954 qu’un « navire est un engin apte à se mouvoir dans les espaces maritimes, à l’exclusion de l’espace aérien, avec l’armement et l’équipage qui lui sont propres, en vue des services que peut comporter l’industrie à laquelle il est employé ». Cette définition sera cependant abandonnée sans qu’aucune des quatre Conventions de Genève de 1958 n’y fassent allusion.
La plupart des définitions retenues par les Conventions internationales sont simples et brèves, ce qui permet d’appliquer la notion de navire à de nombreux bâtiments. A ce titre, la loi du 5 juillet 1983 énonce que « sont considérés comme navires tout bâtiment de mer, quel qu’il soit, y compris les engins flottants, qui effectue une navigation de surface ou sous-marine ou qui stationne en mer, à l’exclusion des engins de plage non motorisés».
Le critère le plus pertinent semble se trouver dans la convention internationale de Londres du 1er novembre 1974 pour la sauvegarde de la vie en mer (Convention SOLAS). Elle considère que le concept de navire repose sur son aptitude à affronter les périls de la mer et l’affection de la chose à la navigation en mer. A ce titre un engin de plage ou une épave n’est pas un navire.
Pour autant une diversité d’embarcations se trouvent en mer. Quel engin est apte à affronter les périls de la mer ? Encore faut-il savoir ce qu’est un péril de mer et ce qu’est l’aptitude d’une chose…
Les périls de la mer sont exprimés notamment dans les textes relatifs au transport de marchandises. Les termes les plus évidents sont ceux de « périls, dangers ou accidents de la mer » et « acte de Dieu ». Ensuite, en quoi une chose est apte à affronter lesdits périls ? La doctrine retient le fait que cette chose survive au fait qui s’abat sur elle.
Mais cette aptitude n’est pas le seul élément du critère. Il faut tenir compte de l’affectation de la chose à la navigation en mer : la chose doit être apte à remplir une fonction nautique : cette réalisation doit être détachable de la part de l’homme
Ainsi, un navire est une chose affectée à une expédition en mer qui, par ses qualités propres, rend possible cette fonction.
Planche à voile, Jet-ski et Zodiac : des navires ?
La notion de navire n’est abordée que par une pluralité de textes s’attachant à des objets limités. Pourtant, l’évolution technologique fait apparaître une variété d’engins tels que les engins de plage et par conséquent nécessite une définition rigoureuse et complète de la notion de navire.
Pour pallier l’absence de définition précise des textes, la jurisprudence fut d’un secours nécessaire. Retenons quelques arrêts célèbres :
Les éléments d’individualisation du navire
Les éléments d’individualisation du navire sont au nombre de quatre :
La condition juridique du navire
Le navire est une chose utile. La condition juridique d’un navire exprime l’idée qu’il est rattaché à un système juridique dont il découle. Par exemple, un arrêt marquant de la Cour de cassation rendu le 12 février 2002 a pu retenir qu’un navire de plaisance habité par son skipper constitue un véritable domicile avec pour conséquence l’application de règles liées à la propriété privée.
La perte de qualité de navire
L’acquisition du statut de navire est un processus assez simple. Le navire devient juridiquement navire lorsqu’il rassemble divers éléments : un titre de navigation (l’équipage), des titres de sécurité et de prévention de la pollution, un acte de francisation, un certificat de jauge…
Par contre, déterminer le moment où le navire perd son statut reste difficile. La perte des éléments ci-dessus invoqués devrait nécessairement faire perdre le statut de l’engin. Pourtant, rien n’est moins sûr. Le défaut de titres et de certificats va participer à la perte du statut, sans être déterminant. La volonté du propriétaire semble jouer une place prépondérante dans la perte de la qualité de navire.
Pour conclure, dans une lutte qu’il doit mener contre les éléments qui le dominent, le marin, si expérimenté qu’il soit, n’est jamais sûr de sortir vainqueur. Il ne peut lui être donné instruction sur la meilleure façon de mener ce combat. C’est une question d’opportunité et de circonstance qui doit être laissée à son appréciation.
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Pour aller plus loin...
L’association LEGISPLAISANCE a publié « Le droit de la plaisance - Guide en 50 fiches thématiques » aux Éditions Ancre de Marine et parrainé par François GABART, vainqueur du Vendée Globe à bord de MACIF.
Ce guide juridique et pédagogique est un nouvel outil de référence pour les plaisanciers et sera, un compagnon de voyage indispensable pour affronter la houle juridique....
site internet : http://www.legisplaisance.fr
Page facebook : http://www.facebook.com/legisplaisance
LE DROIT DE LA PLAISANCE |
Au sujet de l'auteur de cet article Titulaire du Master 2 Droit et sécurité des activités maritimes et océaniques de la Faculté de droit de Nantes, Jérôme Heilikman est juriste spécialisé en droit maritime et droit social des marins. Il travaille depuis 2012 à la Sous-direction des affaires juridiques de l’Enim (sécurité sociale des marins) en charge spécifiquement de la mobilité internationale des marins et de la participation à la codification du Code des transports dans sa partie règlementaire. En parallèle il a cofondé Légisplaisance, association rochelaise qu’il préside et dont l’objet est d’expliquer le droit de la plaisance et de mettre en relation les spécialistes du droit et les plaisanciers. L’association a publié fin 2014 le guide du droit de la plaisance. |
Sources
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