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Les bassins de carène numériques, une réalité pratique ?

L'avenir des bassins de carène est-il au numérique ?

Depuis la mise en service du premier bassin naval commercial en 1883, les bassins de carène ont fourni aux architectes navals une méthode fiable pour prévoir le comportement d'un bateau en mer.

Les bassins de carène sont en effet utilisés pour des tests de résistance et de propulsion, avec des modèles de navires remorqués et autopropulsés utilisés pour déterminer la puissance que le moteur devra fournir pour atteindre la vitesse définie contractuellement entre le chantier naval et le propriétaire du navire.

La performance d'un navire dépend de l'interaction hydrodynamique entre sa coque, son système de propulsion et son gouvernail, qui se combinent pour interagir avec l'environnement extérieur.

Le flux qui passe le long de la coque influence le flux autour du gouvernail, qui affecte à son tour la qualité du flux « vu » par l'hélice. Bien que des informations utiles à la conception puissent certainement être obtenues à partir d'essais (ou de simulations) sur chacun de ces composants individuels, il est néanmoins nécessaire de regrouper ces trois composants dans un modèle unique afin de prévoir le comportement en mer d'un navire avec un degré élevé de précision. Ceci est particulièrement important compte tenu de la demande actuelle de « navires verts » économes en énergie, demande liée à la réglementation et aux contraintes économiques. Une économie d'énergie de quelques pour cent peut grandement influencer la rentabilité d'un navire.

Cependant, le coût et les efforts nécessaires à la production d'un modèle et à son test entraînent une utilisation généralement tardive des bassins de carène dans le cycle de conception ; ils servent alors à vérifier et ajuster une conception déjà définie plutôt qu'à fournir des données d'ingénierie qui pourraient être utilisées pour mieux orienter la conception.

De plus, toute nouvelle solution testée à l'échelle d'un modèle réduit donne plus d'incertitudes sur la performance réelle du navire compte tenu des limites du processus de modélisation.

La mécanique des fluides numérique (ou CFD, Computational Fluid Dynamics) est depuis longtemps considérée comme une alternative viable à l'essai en bassin. Elle fournit un bassin de carène numérique qui peut, au moins sur le principe, être utilisé beaucoup plus tôt dans le processus de conception et fournir aux architectes navals toute une série de données d'ingénierie utiles pour l'optimisation de la conception. La CFD présente aussi un avantage particulier : la précision des résultats ne dépend pas de l'échelle du modèle calculé.

Cependant, jusqu'à récemment, ce potentiel était limité par un certain nombre de difficultés inhérentes au processus de simulation CFD. 

Maillage hexaédrique autour de la coque et du gouvernail avec maillage polyédrique recouvrant autour de l'hélice.

Maillage hexaédrique autour de la coque et du gouvernail avec maillage polyédrique recouvrant autour de l'hélice.

Les simulations CFD résolvent les équations fondamentales de la mécanique des fluides à l'aide d'une méthode appelée « discrétisation » par laquelle un volume occupé par les fluides (l'eau et l'air) entourant le navire est subdivisé en un certain nombre de volumes de contrôle beaucoup plus petits (connus sous le nom de cellules de calcul). En fonction du logiciel utilisé, ces volumes de contrôle peuvent être tétraédriques (pyramide à quatre faces), hexaédriques (brique à six faces) ou polyédriques (volumes de contrôle avec un nombre quelconque de faces).

La définition du maillage de calcul est l'une des parties les plus importantes au cours d'une simulation CFD, et elle représente toujours un compromis entre la précision et le coût de calcul.

En pratique, un « maillage fin » défini avec un grand nombre de petites cellules de calcul fournit une prévision plus précise qu'un « maillage grossier » de cellules plus grandes. Cependant, un nombre plus important de cellules augmente le coût de calcul et nécessite des ressources informatiques plus importantes et des temps de simulation plus longs qu'un maillage plus grossier. Comme les ressources informatiques disponibles pour une simulation donnée sont limitées et pour que les résultats de la simulation puissent être fournis dans un délai raisonnable pour être utiles, les ingénieurs CFD doivent répartir intelligemment leurs cellules, en définissant des cellules plus petites dans les zones de transitions fortes (proches du navire et dans son sillage) et en élargissant les cellules lorsqu'elles s'éloignent du navire.

Il a toujours été difficile de définir un maillage de calcul suffisamment fin pour prendre en compte la coque, le gouvernail et l'hélice dans une seule simulation, et les ingénieurs ont souvent été obligés d'effectuer des simulations séparées sur chaque composant (en prenant en compte leurs interactions à l'aide des conditions aux limites).

Cependant, les évolutions récentes de la technique de maillage automatique (qui fournit un maillage très performant avec un minimum d'interventions manuelles de l'ingénieur), des matériels informatiques (qui offrent des ressources de calcul à un coût plus faible) et des licences informatiques (qui réduisent le coût lié aux simulations sur plusieurs processeurs) ont rendu viables les tests d'autopropulsion et de manœuvre.

Simulation DES (Detached Eddy Simulations) transitoire de l'autopropulsion d'un vraquier utilisant l'hélice Kappel à extrémité modifiée, avec visualisation de l'écoulement autour de la coque et de l'hélice. Image gracieusement offerte par MAN Diesel & Turbo, Danemark

Simulation DES (Detached Eddy Simulations) transitoire de l'autopropulsion d'un vraquier utilisant l'hélice Kappel à extrémité modifiée, avec visualisation de l'écoulement autour de la coque et de l'hélice. Image gracieusement offerte par MAN Diesel & Turbo, Danemark

Pour pouvoir prédire précisément le comportement d'un navire, la simulation numérique doit prévoir correctement l'influence du navire sur la mer environnante (impact du sillage) et l'augmentation de résistance provoquée par la houle.

Cela représente une difficulté beaucoup plus grande qu'une simulation du type « fluide simple » telle qu'on peut l'utiliser pour analyser un avion, un véhicule terrestre ou un submersible entièrement immergé.

Beaucoup d'outils CFD utilisent une approche de « volume de fluide » qui affecte une valeur de « 1 » aux cellules qui contiennent de l'eau et une valeur de « 0 » aux cellules qui contiennent de l'air. Dans les cellules marquées « 1 », ce sont les propriétés physiques de l'eau qui sont utilisées, tandis que dans les cellules marquées « 0 », ce sont les propriétés de l'air.

STAR-CCM+ utilise un schéma de « capture d'interface haute résolution » pour capturer précisément la position de la surface libre entre l'eau et l'air ; cela est nécessaire pour empêcher la surface libre de diffuser (avec des cellules qui ont une valeur intermédiaire entre « 1 » et « 0 »). Cette méthode permet de garantir que l'interaction entre le navire et la surface libre a été correctement appréhendée. STAR-CCM+ dispose aussi de plusieurs modèles de houle intégrés de qualité supérieure qui peuvent être utilisés pour tester le navire dans des conditions de mer réalistes.

De plus, STAR-CCM+ inclut un modèle de cavitation largement validé qui peut être utilisé pour prévoir et gérer les modifications de phases provoquées par l'hélice.

 

Mouvements du navire Simulation STAR-CCM+ d'un FPSO sur une mer agitée.

Mouvements du navire Simulation STAR-CCM+ d'un FPSO sur une mer agitée.

Contrairement aux conditions de simulation d'un avion ou d'un véhicule routier qui, idéalement, avancent dans une seule direction, le déplacement d'un navire est fortement influencé par les conditions de mer. Même dans une eau calme, la définition de la position dynamique du navire par rapport à la surface de la mer (le navire s'enfonce et remonte) est cruciale pour prévoir précisément la résistance. Quand la mer est forte, le mouvement global du navire selon les six degrés de liberté doit être correctement appréhendé, car le navire tangue, roule et vire en recevant la houle.

STAR-CCM+ prend automatiquement en compte les mouvements du navire selon les six degrés de liberté. Le modèle d'« interaction dynamique fluide-objet » intègre les forces qui agissent sur le navire à chaque moment et ajuste sa position en conséquence (sur les six degrés de liberté).

L'«ajustement de position» implique le déplacement du maillage de calcul, ce qui a toujours été une opération délicate. Plusieurs méthodes ont été utilisées pour prendre en compte ce déplacement. Pour les déplacements relativement faibles, les nœuds des cellules du maillage peuvent être ajustés de manière séquentielle. Cependant, pour des déplacements importants, cette méthode est inapplicable car chaque cellule se déforme beaucoup, ce qui peut engendrer des imprécisions ou un défaut dans la simulation.

STAR-CCM+ est le seul parmi les codes CFD commercialisés à résoudre ce problème à l'aide de maillages « couvrants » ou « chimères ». Le maillage autour du navire est alors indépendant du maillage utilisé pour représenter la mer. Cela permet au navire en simulation de se mouvoir autant que nécessaire. Cette fonction permet également de modéliser l'interaction entre plusieurs navires ou objets, comme un navire se déplaçant indépendamment dans le sillage d'un autre, ou la collision entre deux navires. De plus, avec les maillages couvrants, la rotation et le tangage de l'hélice, ainsi que le déplacement du gouvernail peuvent être modélisés en fonction du déplacement du navire, ce qui permet une analyse pertinente et précise de l'autopropulsion et de la manœuvre.

Les perspectives ouvertes par la simulation numérique

Ayant ainsi réglé les trois principales difficultés liées à la reproduction des tests de comportement, la CFD peut désormais proposer un outil utile pour compléter, voire remplacer, les tests en bassin de carène. Les comparaisons entre les simulations STAR-CCM+ et en bassin de carène ont démontré un niveau élevé de corrélation entre les deux méthodes (la différence s'élevant à moins de quelques points de pourcentage [1], [2]). De plus, les simulations CFD présentent l'avantage de pouvoir être facilement réalisées à échelle réelle si nécessaire, ce qui réduit l'incertitude inhérente à une modélisation réduite.

Bien qu'il soit très peu probable qu'un navire de grande dimension puisse être conçu, du moins dans un avenir proche, sans un passage en bassin de carène, la CFD est désormais couramment utilisée dans le processus de conception par les constructeurs de navires et les architectes navals partout dans le monde. Utilisée intelligemment, la simulation CFD permet de réduire la fréquence et le coût des tests physiques en bassin de carène, en fournissant une conception plus fine et optimisée et en limitant les modifications, dans le respect des obligations contractuelles.

Il est également vrai que dans certains cas, comme pour la conception des navires haute performance qui concourent dans la Coupe de l'America, les bassins de carène ont été totalement remplacés par la CFD. Le voilier vainqueur de la 37e Coupe de l'America a été conçu à l'aide de STAR-CCM+, comme le seront les voiliers de Ben Ainslie Racing et Luna Rossa lors de la prochaine édition de la course.

Que peut-on attendre à l'avenir ? Contrairement aux bassins de carène, dès lors que vous avez élaboré un processus valide pour simuler le comportement d'un navire, il est relativement facile de l'automatiser. Cela ouvre la voie à la fois à une « exploration automatisée de la conception », dans laquelle le navire en projet est soumis à un grand nombre de scénarios de fonctionnement possibles, et à l'« optimisation », où la conception du navire est automatiquement corrigée pour prendre en compte les défauts de comportement identifiés dans la simulation précédente.

La généralisation de cette approche permettra non seulement une conception de navires plus innovante et plus économes en énergie (cette analyse pouvant être réalisée à moindre coût), mais également la fabrication de navires plus robustes qui auront été testés numériquement dans un nombre beaucoup plus grand de conditions d'exploitation réelles par rapport à un simple test en bassin de carène.

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