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La Course au large : vecteur d’innovation technique et d’encadrement règlementaire pour le nautisme

29 « Formule 1 des mers » ont pris le départ du Vendée Globe dont sept ont été spécialement conçues pour cette 8ème édition. Jérôme Heilikman, responsable de la rubrique juridique d'ActuNautique et président de Legisplaisance, s'intéresse aujourd'hui à ces bateaux de course riches d'innovations qui sans doute demain équiperont les navires de plaisance des particuliers.

La Course au large : vecteur d’innovation technique et d’encadrement règlementaire pour le nautisme

Evoquer la course au large et ses innovations technologiques conduit à penser la conception du navire, certes sous le regard de la performance et de l’innovation, mais plus globalement, sous un angle environnemental.

A l’heure de la transition énergétique alors que se clôture dans quelques jours la présidence française pour la COP 21, l’apport de la compétition constitue un excellent aiguillon sur le plan technologique en encourageant les industries nautiques à trouver des solutions innovantes pour améliorer la performance des navires et de leurs équipements. 

Dans ce cadre, l’Union Européenne et la France ont pour objectif de promouvoir un marché propice à la commercialisation de produits plus respectueux de l’environnement (parmi les premiers biens concernés on peut citer les véhicules hors d’usage, les produits liés à la consommation d’énergie, les déchets d’équipement électriques et électroniques ou encore les emballages…).

Le nautisme ne fait pas exception. Cette démarche environnementale devient de plus en plus prégnante dans les nouvelles générations de navires et de nouveaux textes réglementaires sont déjà en vigueur, d’autres sont d’ores et déjà planifiés ou seulement en réflexion.

Michel DESJOYEAUX : « La compétition est une machine à optimiser »

La Course au large, depuis notamment l’essor des circumnavigations au 20ème siècle, l’avènement des compétitions transocéaniques, des exploits solitaires à la médiatisation de la voile spectacle a en effet été un accélérateur d’innovations techniques permettant ensuite d’optimiser les qualités marines et les performances des bateaux de séries.

Pour rappel, lors de l’édition du Golden Globe Challenge de 1969 qui deviendra le Vendée Globe vingt ans plus tard, MOITESSIER s’engagea à bord du célèbre monocoque Joshua avec des poteaux télégraphique qui faisaient office de mâts.

Inventeur, marin, skipper, Éric Tabarly a marqué plusieurs générations de navigateurs et de coureurs hauturiers, créant une véritable « école française » de la course au large »  et est à l'origine de très nombreuses innovations : conception du premier voilier spécifiquement imaginé pour un transat en solitaire, déplacement léger, carène à double bouchain, safran suspendu reculé, régulateur d'allure, quille à bulbe pendulaire, gréement de goélette à wishbone, essais en bassin de carène, premier trimaran de course de grande taille à mâts profilé et voiles lattées, premiers ballasts, formes planantes, arrière large, redan de coque, lest minimal, chaussette à spi, premier concept d'hydroptère, premier trimaran à foils…

Le Vendée Globe vit l’apparition en avant-première de tables à cartes informatiques en lieu et place de sextants et cartes en papier. Aujourd’hui, les bateaux de série empruntent quantité d’innovations technologiques aux prototypes de course, des systèmes de communication aux calculs de vitesse en passant par l’optimisation des gréements ou le pilote automatique.

La voile océanique est certainement le sport mécanique qui a le plus évolué ces trente dernières années avec des révolutions architecturales, d’abord pour des raisons de sécurité, ensuite pour s’adapter à une jauge de plus en plus contraignante. Pour autant, leurs performances n’ont fait que grimper au fil des éditions du Vendée Globe puisque lors du premier tour du monde sans escale, le vainqueur avait mis 109 jours tandis que François Gabart détient désormais le temps de référence avec 78 jours.

Des investissements conséquents, un concentré de technologies matérielles, électroniques et numériques, de savoir-faire et de nouvelles implantations permettent d'accompagner les mutations du nautisme et de renforcer son dynamisme économique. Par ailleurs, ces avancées technologiques sur le marché ont néanmoins soulevé de nouvelles questions en ce qui concerne les exigences environnementales. 

A ce titre, le législateur s’est saisi au fil des années de ces innovations pour encadrer sur un plan européen et national la mise sur le marché des navires de plaisance et leurs normes de conception :

Sur un plan européen, les principaux apports règlementaires furent apportés par :

La directive 2013-53-CE du 20 novembre 2013 relative aux bateaux de plaisance et aux véhicules nautiques à moteur et abrogeant la directive 94/25/CE en élargissant son champ d’application. Cette directive européenne d’harmonisation technique fixe les exigences relatives à la conception et à la fabrication des navires de plaisance.

Produits concernés :

  • les bateaux de plaisance et les bateaux de plaisance partiellement achevés;
  • les véhicules nautiques à moteur et les véhicules nautiques à moteur partiellement achevés;
  • les éléments ou pièces d’équipements énumérés limitativement lorsqu’ils sont mis sur le marché de l’Union séparément ;
  • les moteurs de propulsion qui sont installés ou sont spécialement conçus pour être installés sur ou dans des bateaux;
  • les moteurs de propulsion installés sur ou dans des bateaux et qui sont soumis à une modification importante;
  • les bateaux qui sont soumis à une transformation important

Cette directive repose sur les principes de la nouvelle approche en matière d’harmonisation technique et de normalisation. Elle se borne donc à énoncer les exigences essentielles applicables aux bateaux de plaisance et aux véhicules nautiques à moteur concernant la protection de l’environnement

  • Principe de la nouvelle approche : l’objet est d’harmoniser les législations nationales concernant les exigences essentielles de sécurité des produits mis sur le marché en précisant que les spécifications techniques restent des normes volontaires c’est-à-dire dépourvues de caractère obligatoire. Le fabriquant reste libre quant au choix des moyens techniques pour garantir la conformité du produit à ces exigences essentielles.

Cette directive a un double objectif : 

  • garantir un niveau élevé de protection des intérêts publics, tels que la santé et la sécurité et la protection du consommateur et de l’environnement, ainsi que le respect d’une concurrence loyale sur le marché de l’Union ;
  • Assurer rapidement la libre circulation de biens réputés sûrs dans l'Union européenne (attesté par le marquage CE et les normes ISO)

A noter que les États membres devaient adopter et publier, au plus tard le 18 janvier 2016, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive. 

Sur un plan national, les principaux apports règlementaires furent apportés par :

Le décret n° 2016-763 du 9 juin 2016 relatif à la mise sur le marché des bateaux et navires de plaisance, des véhicules nautiques à moteur, de leurs moteurs de propulsion et éléments ou pièces d'équipement qui transpose la directive 2013/53/UE du 20 novembre 2013

Ce décret a pour objectif de garantir que les navires et bateaux de plaisance, les véhicules nautiques à moteur, les éléments et pièces d'équipement et les moteurs de propulsion mis à disposition sur le marché satisfont aux exigences essentielles garantissant un niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité des personnes, des biens et de l'environnement, tout en assurant le bon fonctionnement du marché intérieur. Il abroge le décret n° 96-611 du 4 juillet 1996 relatif à la mise sur le marché des bateaux de plaisance et des pièces et éléments d'équipement.

Produits concernés :

  • Les bateaux de plaisance même partiellement achevé : tout bateau de tout type, à l'exclusion des véhicules nautiques à moteur, destiné à être utilisé à des fins sportives et de loisir, dont la coque a une longueur de 2,5 à 24 mètres, indépendamment du moyen de propulsion ;
  • Les véhicules nautiques à moteur : bateau destiné à être utilisé à des fins sportives et de loisir, dont la longueur de coque est inférieure à 4 mètres, équipé d'un moteur de propulsion qui entraîne une turbine constituant sa principale source de propulsion et conçu pour être manœuvré par une ou plusieurs personnes assises, debout ou agenouillées sur la coque plutôt qu'à l'intérieur de celle-ci ;
  • Les moteurs de propulsion

On notera l’exclusion des bateaux conçus exclusivement pour la compétition (article 2 2°) ainsi que les bateaux expérimentaux comme les submersibles, les aéroglisseurs ou encore les hydroptères.

L’article 4 dispose « Les produits mentionnés (concernés par la directive) peuvent uniquement être importés, mis à disposition sur le marché ou mis en service s'ils ne mettent pas en danger la santé et la sécurité des personnes, les biens ou l'environnement lorsqu'ils sont entretenus correctement et utilisés aux fins prévues, et sous réserve qu'ils satisfassent aux exigences essentielles applicables »

-    L’arrêté du 2 décembre 2014 modifiant l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires (Division 240). Cette  division définit les conditions d'utilisation ainsi que les dispositions relatives au matériel d'armement et de sécurité applicables en mer à tous les engins, embarcations et navires de plaisance à usage personnel ou de formation d'une longueur de coque inférieure ou égale à 24 mètres.

Elle s'applique en complément des exigences essentielles s'imposant aux fabricants au regard des normes ISO.

La division met notamment en place un registre de vérification spéciale qui doit être rempli et visé annuellement par la personne responsable, au sein de la structure ou l'entreprise, de l'entretien du navire. Ce document permet à l'utilisateur du navire de vérifier que l'entretien du navire et le suivi de son matériel de sécurité sont réalisés régulièrement au regard des exigences essentielles.

Par exemple, concernant la construction du navire, les vérifications porteront sur :

  • L’inspection visuelle extérieure de la coque
  • L’inspection visuelle intérieure de la structure
  • L’intégrité des liaisons entre la coque et le pont
  • L’état des taquets d’amarrage
  • La lisibilité de la plaque du constructeur
  • Etc…

L’ensemble de ces dispositions règlementaires qui encadrent la conception des navires de plaisance de série puisent leur rédaction dans le sillage des innovations techniques de la compétition nautique. A titre d’illustration et à l’appui d’un dossier récemment paru dans le Journal du Marin fin septembre, on peut citer comme accélérateurs de technologie :

  • Les voiles : les enrouleurs inventés par les skippers équipent la plupart des bateaux de croisières, notamment pour les génois et progressivement les grand’ voiles
  • La carène : les bateaux de série s’inspirent des formes droites et volumineuses qui allient confort, aménagement intérieur et performance
  • Le mât : les matériaux utilisés sont de plus en plus légers comme le carbone pour certains, l’aluminium pour beaucoup.
  • Les matériaux : acier, coton ou chanvre sont remplacés par des matériaux de synthèse comme le nylon ou le kevlar. 
  • Le cockpit : la course au large a initié le principe de ramener toutes les drisses dans le cockpit facilitant les manœuvres

Face à ces innovations les fabricants sont ainsi contraints juridiquement de suivre un cahier des charges rigoureux :

-    contrôles internes lors du développement du navire
-    réalisation de prototype ou de pré-série
-    choix du référentiel normatif pierre angulaire de la conformité
-    dossier technique
-    processus de certification
-    procédure d’évaluation de la conception à la construction
-    mise sur le marché…

L’avenir nous dira si les fabricants des bateaux de croisières opteront pour toutes les avancées technologiques des bateaux de course comme par exemple la mise en place de foils ou de quille à bulbe basculante latéralement… avec l’introduction de nouvelles normes réglementaires.

 
Jérôme Heilikman
Juriste - Doctorant
Président fondateur de Legisplaisance, juriste spécialisé en droit maritime et droit social des marins à la Sous-direction des affaires juridiques de l’Etablissement National des Invalides de la Marine. Titulaire du Master 2 Droit et Sécurités des activités maritimes et océaniques de l’Université de Nantes et en préparation de thèse de doctorat sur la construction et le recyclage des navires de plaisance.

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