28 Juin 2019
Crédits photo : Alexis Courcoux & Yvan Zedda
Et si la Solitaire s’était jouée autour d’Ouessant, au troisième jour de course ? Alors que le groupe des leaders, emmené par Thomas Ruyant, s’entête dans l’Ouest, les poursuivants menés par Yoann Richomme filent au Nord. L’option Ouest est annoncée gagnante sur les routages mais s’écarte dangereusement de la route directe…
« On a fait une erreur, mais ils ont eu de la chance que la sanction soit si lourde », raconte Anthony Marchand. L’effet de groupe ne concerne pas uniquement le skipper de Groupe Royer – Secours Populaire. Il a avec lui toute une palanquée de favoris ; Hardy, Macaire, Eliès, Loison, Lagravière, Mahé…
« Quand tu es avec ces gars-là, si ça vire, tu a plutôt tendance à virer ! », commente Thomas Ruyant (Advens Fondation de la Mer). Le lendemain, à l’arrivée au Fastnet, la brèche s’est transformée en gouffre.
Alors que Richomme file sous spi avec le courant sous Kinsale, le groupe Ouest lutte au près contre la marée, puis le long des côtes irlandaises dans une petite brise.
« Je crois qu’à chaque fois que j’ai remporté la Solitaire, j’ai empoché la première étape. Notre retard a pesé lourd sur la suite de la course », témoigne Yann Eliès, qui ne s’en remettra pas. Pour Michel Desjoyeaux, « cette première étape a dégagé beaucoup de têtes de série. Indirectement, ces gens ont été obligés de tenter des coups par la suite et ont donc fait plus d’erreurs. Et sur le plan psychologique, c’est une perte de confiance énorme ».
Tout n’était pas perdu pour autant, avec Adrien Hardy remportant l’épreuve suivante et Xavier Macaire en seconde position. Mais il faudra attendre la troisième épreuve pour qu’Anthony Marchand, Alexis Loison et Gildas Mahé rattrapent leur énorme retard au classement général.
Après la belle surprise de la première étape, Yoann Richomme (HelloWork – Groupe Télégramme) a déroulé sa partition sans faute, limitant la casse dans la troisième étape pour maintenir un matelas d’une heure sur ses poursuivants.
« Yoann est ultra-fort et avant le départ, je pense qu’il était sous-coté médiatiquement. Il a un niveau de maturité exceptionnel dans tous les compartiments du jeu et son projet Route du Rhum emballé en six mois montre qu’il sait s’adapter et qu’il est hyper structuré », raconte Corentin Douguet (NF Habitat).
Cette météo du mois de juin a fait mentir les meilleurs fichiers GRIB : un petit anticyclone sur le proche Atlantique, plusieurs dépressions orageuses sur la route à chaque étape, des dorsales à traverser, finalement assez peu de pression, mis à part lors de la seconde étape, sous le vent de l’Angleterre.
« C’était difficile d’établir une stratégie à moyen terme » témoigne Michel Desjoyeaux. « Lorsqu’on annonce 15-18 nœuds et qu’il n’y en a que 10, la vitesse du bateau peut être divisée par trois. Ça change tous les routages qui deviennent rapidement obsolètes. Il a fallu improviser. » « On n’a jamais fait un seul grand bord en route directe. » ajoute Martin Le Pape. « C’est ça qui crée les écarts avec en plus un bateau dont les performances varient beaucoup dès qu’on prend de l’angle ».
C’est dans ce contexte qu’Anthony Marchand considère qu’il ne fallait pas jouer « p’tit cul » ! C’est ce qu’a fait notamment Gildas Mahé lors de la seconde étape, face au barrage du DST des Casquets, en lâchant la meute vers le Sud. Ou encore Yoann Richomme et Eric Péron, en jouant la côte à l’île de Wight. Des coups récompensés, mais combien d’autres moins saillants auront coûté cher à de nombreux skippers ? « Il y avait moyen de rater mais aussi de se refaire tout de suite après, c’est ça qui a entraîné de tels brassages aux classements » résume Michel Desjoyeaux.
Une des grandes inconnues de cette édition était de savoir comment allait se comporter le Figaro Bénéteau 3, tout nouveau monotype officiel de la course et premier modèle de course équipé de foils construit en série.
Si les soucis de barrots de barres de flèche connus lors de l’avant-saison semblent aujourd’hui un mauvais souvenir, ceux liés à l’étanchéité des trappes de foils se sont rappelés au souvenir des Figaristes et du jury pendant la deuxième étape. Trois skippers ont été obligés d’abandonner, tous les bateau ont été repris sur le ponton de Roscoff par une équipe de Bénéteau, et la course a pu suivre son cours normalement.
Mis à part au début de la première étape, et à cause de l’annulation du contour de l’île de Man lors de la seconde, 80 % de cette Solitaire du Figaro s’est déroulée dans la Manche.
« Il manquait sans doute une belle transgascogne où le bateau devrait d’ailleurs s’avérer très sympa pour équilibrer », commente Alexis Loison. Les nombreux aller-retour entre les côtes anglaises et bretonnes, avec ses forts courants et ses regroupements d’algues a sans doute également pesé sur la physionomie assez atypique des étapes. Il en est de même du faible nombre de marques à contourner, autant de points de canalisation de la flotte que la direction de course essaie de bannir depuis quelques années.
Sur le nouveau Figaro Bénéteau 3, l’antenne commune entre AIS et VHF limite significativement la portée de cet équipement de sécurité utilisé comme mouchard par les Figaristes. D’un dizaine de milles initialement, elle s’est réduite à trois ou quatre cette année, ce qui explique peut-être aussi les retournements de situation et les écarts creusés à chaque étape. « Avant, un concurrent qui optionnait était immédiatement repéré sur l’AIS. Ça n’empêchait pas de faire des coups, mais ça en limitait considérablement la portée car les suiveurs réagissaient. Cette année m’a rappelé ma première Solitaire en 2010 où cet équipement n’existait pas et j’ai aimé ça. C’est une incertitude qui est formatrice et qui génère de plus gros écarts, donc il faut la conserver à l’avenir ».