3 Décembre 2020
Le skipper va en effet bénéficier d’une bonification en temps décidée par le jury international du Vendée Globe pour compenser les heures passées à la recherche de Kevin Escoffier.
Remis de ses émotions après le sauvetage de Kevin Escoffier, le skipper de Maître CoQ IV est entré dans le vif du sujet du Grand Sud.
Comment cela se passe-t-il aujourd’hui ?
Yannick Bestaven – Ce n’est plus le même décor ! Je ne suis plus dans le monde surf et glisse que j’ai connu hier. Depuis la fin de l’après-midi, je suis dans une espèce de shaker avec une mer pas bien rangée du tout ; c’est parce que je suis en train de traverser les zones de courants au large du Cap des Aiguilles. J’ai regardé les cartes de courants et j’ai été impressionné de voir qu’il y avait jusqu’à 4 nœuds de courant dans le coin. Ça change beaucoup de choses dans l’état de la mer. Du coup, le bateau se dandine et saute partout, le corps est projeté d’avant en arrière, de droite à gauche, de haut en bas. Musculairement, pour tenir le coup, tu as intérêt à faire du gainage ! Mais à part ça, tout va bien. Je suis quand même arrivé à me reposer, parce que finalement, c’est dans la bannette, allongé, que je suis le mieux. Je suis aussi parvenu à me sécher le corps et les vêtements ; pour ça, je fais tourner un peu le moteur. Ce matin, j’ai hésité à renvoyer un ris ; mais vu la mer, je préfère attendre. C’est vraiment plus l’état de la mer que la force du vent qui commande. Les réglages ne sont pas les mêmes dans l’Indien qu’à La Rochelle !
Cet océan Indien que tu découvres est-il conforme à l’image que tu t’en faisais ?
Yannick Bestaven – Je ne sais pas si ce que je vis aujourd’hui est représentatif des mers du Sud. C’est une zone de courants assez particulière. On verra comment sera la suite. En revanche hier, c’était vraiment génial dans une belle houle, la mer montait derrière, Maître CoQ partait au surf, j’étais sous petit gennaker, je lofais un peu pour mettre un peu d’angle et ne pas enfourner en arrivant en bas des vagues ; le bateau était magique. J’espère que ça va revenir !
Cela a-t-il été difficile de revenir dans la course après le sauvetage de Kevin Escoffier ?
Yannick Bestaven – Oui, ça a été compliqué. On a quand même vécu une grosse frayeur, avoir un copain en mer sur son radeau, ce n’est pas anodin. Cette nuit passée à le chercher a été très difficile ; forcément, tu zappes la course dans un moment comme ça. Après, quand tu apprends qu’il est sur le bateau de Jean Le Cam (Yes We Cam), il faut reprendre la course. Personnellement juste au moment de repartir, j’ai eu un problème sur un safran ; je me suis dit que c’était la scoumoune. Mais petit à petit, après un temps d’adaptation, j’ai repris confiance dans le bateau et la journée d’hier est arrivée à point nommé, parce qu’elle m’a vraiment permis de reprendre du plaisir à naviguer en faisant de bonnes moyennes et de regarder à nouveau les positions des autres bateaux sur le plan d’eau pour refaire de la stratégie. Je pense que j’ai mis 24 heures à me remettre vraiment en mode course.
A propos de stratégie, qu’est-ce qui t’attend dans les prochaines heures ?
Yannick Bestaven – Là, on va passer assez près de la zone d’exclusion des glaces. On a reçu hier une carte des icebergs, il y en a pas mal juste dans le sud de la limite. J’espère qu’il ne va pas y avoir de growlers (petits morceaux de glace qui se détachent des icebergs) sur la route, parce que je n’ai pas envie de vivre ce qu’ont vécu Seb Simon (Arkea-Paprec) et Sam Davies (Initiatives-Cœur) hier (collision avec des OFNI). Je viens de faire un routage. On va se retrouver à l’arrière de la dépression aujourd’hui, et derrière nous, il y a un anticyclone qui regonfle juste au-dessus de cette limite des glaces qu’on va continuer à longer.
Fait-il froid par 40° Sud ?
Yannick Bestaven – J’ai forcément remis quelques couches ; mais non, il ne fait pas si froid, l’eau est à 16°C, donc on est encore dans des températures acceptables. Le pire finalement, c’est l’humidité, parce que le bateau est en permanence sous l’eau. Je ferme tout à l’intérieur pour éviter que les embruns ne rentrent, mais cela reste très humide.
Vous êtes un groupe assez compact de sept bateaux en une centaine de milles, cela rend-il la course plus sympa à vivre ?
Yannick Bestaven – Oui, carrément, en plus, ça motive pour bien régler le bateau. Hier, j’avais plutôt envie d’aller plus vite que tout le monde. J’étais bien en phase avec lui pour le faire. Je pense que si les autres n’étaient pas là, je temporiserais un peu plus sur les manœuvres, par exemple. J’échange toujours pas mal avec Boris Herrmann (SeaExplorer – Yacht Club de Monaco), nous sommes ensemble depuis Sainte-Hélène. On continue nos contacts réguliers, on se parle des conditions qu’on a, des voiles qu’on utilise, de nos problèmes respectifs. C’est vraiment sympa de naviguer comme ça de concert ; même si on est concurrents, on s’échange pas mal d’infos.
Comment va Maître CoQ IV ?
Yannick Bestaven – Mon Maître CoQ va plutôt bien. Je n’ai pas de soucis, juste quelques détails à droite à gauche, des petites fuites, un peu d’usure sur certains bouts, mais ça se passe bien, je touche du bois, ou plutôt du carbone car il n’y en a pas !
Et toi ? On a vu sur tes vidéos que tu avais une petite plaie au nez ?
Yannick Bestaven – Je me sens en forme. Mais c’est clair que je prends au moins une gamelle par jour, donc des « pets », ça arrive sans arrêt. Je ne me souviens même pas comment je me suis fait celui-là. Ce qui est impressionnant sur ces foilers – Armel Le Cléac’h me l’avait dit pour l’avoir vécu sur Banque Populaire il y a quatre ans –, ce sont leurs réactions et les secousses. C’est hyper dangereux de se déplacer à l’intérieur. Tu prends en permanence des chocs, dus aux accélérations ou aux décélérations. Comme je te le disais au début de notre conversation, physiquement, c’est dur. Et même en te tenant, tu passes ton temps à tomber, à te rattraper de justesse, à manquer d’être projeté la tête la première dans la table à cartes ou le tableau électrique, c’est sport ! Mais ça va, on avance !