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Eric Tabarly, un destin extraordinaire, entre course au large et innovation technologique

Dans la nuit du 12 au 13 juin 1998, peu avant minuit, au large des côtes du Pays de Galles, alors qu'il convoie Pen Duick avec 4 équipiers pour un rassemblement de voiliers en Ecosse, Eric Tabarly tombe à l'eau et se noie. Ses 4 équipiers ne réussirons jamais à le sauver.

Eric Tabarly, un destin extraordinaire, entre course au large et innovation technologique

Officier de la Marine Nationale, skipper d'exception, marin respecté de tous, architecte naval et inventeur, Eric Tabarly a marqué son époque, tant d'un point de vue humain, que d'un point de vue technique et sportif, imaginant des solutions qui auront révolutionné la voile sportive, avant d'adresser la plaisance.

Né le 24 juillet 1931 à Nantes, Eric Tabarly découvre la voile à l'âge de 3 ans, à bord du voilier familial, "Annie", puis apprend à naviguer sur Pen Duick (mésange à tête noire en breton), un vieux côtre de 1898 dessiné par l'architecte écossais William Fife, acheté par son père, Guy Tabarly, en 1938, et dont il devient propriétaire en 1952.

Le vieux gréement est alors en mauvais état, ne navigant plus depuis 1947.

Eric Tabarly entreprend alors de le restaurer, mais la coque s'avèrant être irréparable, il a l'idée de s'en servir comme moule, pour la reconstruire en stratifié polyester au chantier Costantini en 1958. Un an plus tard, Pen Duick navigue de nouveau, qu'il engagera dans les courses anglaises du RORC en 1960, 1961 et 1962.

Pen Duick marquera sa vie entière, lui permettra de participer à ses premières courses-croisière, et donnera son nom aux différents voiliers qu'il possédera par la suite, de Pen-Duick II à Pen-Duick VI, chacun d'entre eux constituant à sa manière une avancée technologique.

Souhaitant s'engager toujours plus dans la course malgré sa carrière dans la marine, en particulier l'Ostar, la transat en solitaire de 1964, il demande sa mise en détachement spécial de la Royale, qui lui permet de naviguer librement... tout en restant officier d'active.

 

5 Pen Duick réunis : photo : Gilles Martin-Raget

5 Pen Duick réunis : photo : Gilles Martin-Raget

La série des Pen Duick : des voiliers mythiques

Aidé de Gilles et Michel Costantini, il conçoit Pen Duick II, un ketch de 13.60m de long, qu'il engage dans l'Ostar. Un choix judicieux qui lui permet de remporter la course, devant le détenteur du titre, Francis Cichester, le 18 juin 1964. Cette victoire fait connaître la course au large au Français : le Général de Gaulle lui fait remettre la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur le 6 Juillet à Washington. 

En 1966, souhaitant aller plus avant dans la course au large, il fait construire Pen-Duick III qui deviendra le bateau le plus titré de la série des Pen Duick, une coque aluminium de 17,40m de long, à double bouchain et quille à bulbe, testée en bassin de carène, gréée en goélette, un bateau astucieux qui, à son lancement, bénéficiera d'une faille dans le réglement de jauge, qui sous-estimait alors la surface de voile entre les deux mâts ! 

Passionné des techniques navales, il s'intéresse cette même année aux multicoques, impressionné par la victoire du trimaran Toria dans la Two-Handed Round Britain Race. Un convoyage du multicoque avec son architecte, Derek Kellsall, à près de 10 noeuds de moyenne, l'incite à se lancer dans la construction de Pen-Duick IV, pour la transat de 1968. Mauvaise pioche cependant : le bateau pas au point lors de la course le poussera à abandonner...

Cette même année et pour participer à la Transpacifique, Eric Tabarly fait construire Pen Duick V, un sloop de 10,60 mètres signé Michel Bigoin et Daniel Duvergie, dans lequel il s'implique beaucoup, notamment au niveau des ballasts et des appendices. Large, léger, ce bateau planant, à quille étroite et petit bulbe, dont la coque adopte des redans au dessus de la flottaison, préfigure à bien des égards les futurs 60 pieds du Vendée Globe Challenge.

En 1973, Pen Duick VI surprend tout le monde : ce ketch de 22.25m de long et 32 tonnes, en aluminium, conçu par Alain Mauric, est doté d'une quille dont le lest est en uranium appauvri, qui sera par la suite remplacé par un lest en plomb ! Doté d'une surface de voile de près de 600m2 au portant, il se caractérise par une queue de mallet sur son tableau arrière, un petit bout dehors destiné à fixer le pataras. Malgré quelques démâtages en course et le fait qu'il a été conçu pour une navigation en équipage, ce bateau lui permet de remporter la Transat en Solitaire de 1976 devant Alain Colas sur son Club Méditerranée de 72m de long, malgré la rupture de son pilote automatique en début de course ! Une double victoire qui lui vaut une descente triomphale des Champs Elysées. 

Une idole est née : Eric Tabarly est en 1976 le sportif préféré des Français...

Toujours épris d'innovation, un prototype expérimental d'hydroptère est construit pour lui la même année, basé sur un Tornado de 6m de long muni de foils ! Un concept qui ne sera pas repris sur Pen Duick VII, qui deviendra Paul Ricard, mais qui sera à la base de la réflexion d'Alain Thébault, bien des années plus tard. 

Entretemps, Eric Tabarly accompagné d'architectes français et de la société Dassault a conçu un trimaran équipé de foils, qui demandera près de 4 ans d'efforts avant de trouver un sponsor prêt à le financer. Ce sponsor, ce sera le roi du pastis, la société Ricard. La rencontre avec l'industriel a lieu en 1979, qui se décide alors très vite. 

Une nouvelle légende est construite : ce trimaran de 16.50m de long et de 7 tonnes,  en aluminium se distingue par un bras de liaison unique et deux petits flotteurs dotés de foils. Une innovation qui lui permet de battre en 1980 le record de traversée de l'Atlantique Nord détenu depuis... 1905 par l'Atlantic, une goélette de Charlie Barr.

La course aux records de traversée par des multicoques est officiellement ouverte cette année là...

Eric Tabarly, un destin extraordinaire, entre course au large et innovation technologique

Créateur de l'école française de la course au large

Inventeur, marin, skipper, Éric Tabarly a marqué plusieurs générations de navigateurs et de coureurs hauturiers, créant une véritable « école française » de la course au large.

Parmi ses équipiers, des marins tels Alain Colas, Olivier de Kersauson, Gérard Petipas, Éric Loizeau, Marc Pajot, Daniel Gilard, Titouan Lamazou, Philippe Poupon, Yves Parlier, Michel Desjoyeaux, Jean Le Cam...

De très nombreuses innovations 

Epris de technique et de performances, Eric Tabarly est à l'origine de très nombreuses innovations : conception du premier voilier spécifiquement imaginé pour un transat en solitaire, déplacement léger, carène à double bouchain, quille étroite avec saumon, safran suspendu reculé, régulateur d'allure (Pen Duick II) ; quille à bulbe, gréement de goélette à wishbone, essais en bassin de carène, construction Duralinox (Pen Duick III) ; premier trimaran de course de grande taille à mâts profilé et voiles latées (Pen Duick IV) ; premiers ballasts, formes planantes, arrière large, redan de coque, lest minimal, chaussette à spi (Pen Duick V), premier concept d'hydroptère, premier trimaran à foils (Paul Ricard)...

Sa disparition en 1998,  lors d'un convoyage de Pen Duick, au large du Pays de Galles, dans la nuit du 12 au 13 juin 1998, est vécue comme un véritable traumatisme collectif. 

Un traumatisme collectif qui rappellera la disparition d'Alain Colas, survenue 20 ans plus tôt, lors de la toute première Route du Rhum, à bord de Manureva... l'ex-Pen Duick IV....

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