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Regards croisés sur la mer au Musée National de la Marine : Jean Gaumy et les pêcheurs en images

Le musée national de la Marine à Paris dévoile une double exposition inédite du 14 mai au 17 août 2025. D’un côté, le photographe Jean Gaumy, figure de l’agence Magnum, livre un témoignage sensible et immersif de l’univers maritime contemporain. De l’autre, un ensemble exceptionnel de clichés issus des collections du musée redonne vie à plus d’un siècle de représentations photographiques des pêcheurs, loin des stéréotypes. Deux récits visuels qui dialoguent et éclairent notre rapport à la mer.

Le musée national de la Marine consacre sa saison estivale 2025 à une exploration photographique de l’univers maritime à travers deux expositions complémentaires. La première, « Jean Gaumy et la mer », rend hommage au regard profond et engagé du photographe, tandis que la seconde, « La pêche au-delà du cliché », puise dans les archives du musée pour interroger les représentations de la pêche du XIXe au XXIe siècle.

Jean Gaumy, photographe de l’extrême

Membre de l’agence Magnum, de l’Académie des beaux-arts et Peintre officiel de la Marine, Jean Gaumy a construit son œuvre au long cours, entre reportage documentaire et poésie visuelle. L’exposition, fruit d’un partenariat avec la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (MPP), rassemble près de 150 tirages et retrace un demi-siècle d’errance photographique, de la Normandie aux confins polaires.

Le parcours débute en 1972 à Fécamp, où le jeune Gaumy embarque sur un chalutier. Fasciné par la rudesse des métiers de la mer, il suit les pêcheurs en Andalousie, à Long Island ou dans les ports français. La série « La Boucane », réalisée dans une usine de harengs, révèle un monde féminin aussi dur que solidaire. La caméra se substitue parfois à l’objectif : son film éponyme, tourné en 1984, sera nommé aux César.

Vient ensuite « Pleine mer », série emblématique née de ses campagnes à bord de chalutiers. Malgré un mal de mer tenace, Gaumy documente sans relâche la vie à bord, les gestes, la camaraderie et les tempêtes. Ses images, entre humanisme brut et témoignage social, captent une époque en voie de disparition. Elles nourriront le livre éponyme publié en 2001.

Son œuvre s’ouvre aussi à d’autres fronts maritimes : marées noires, plateformes pétrolières, sous-marins nucléaires. Il est le premier réalisateur à être autorisé à filmer longuement à bord d’un sous-marin nucléaire en mission. Ses images de l’« Améthyste », du « Perle » ou du « Terrible » révèlent un huis-clos inédit, miroir de ses reportages sur les prisons et hôpitaux.

Les pôles marquent un autre chapitre. Entre 2008 et 2018, il accompagne des expéditions scientifiques au Groenland, au Spitzberg ou dans le golfe d’Amundsen. Ses photos y flirtent avec l’abstraction : paysages désolés, détails décontextualisés, formes à la limite du visible. Ce travail plasticien prolonge son exploration du réel vers une quête poétique et contemplative.

Le phare de Cordouan, les falaises de Fécamp ou les mâts du parc éolien offshore voisin témoignent de son ancrage territorial. La mer, omniprésente, devient à la fois motif, matière et mémoire.

Regards croisés sur la mer au Musée National de la Marine : Jean Gaumy et les pêcheurs en images

Photographier la pêche : entre témoignage et imaginaire

En contrepoint, l’exposition « La pêche au-delà du cliché » présente 130 pièces issues des fonds du musée national de la Marine, dont certaines sont inédites. Ce corpus, hétérogène mais cohérent, révèle la richesse des regards portés sur les pêcheurs et leurs pratiques.

Dès le XIXe siècle, la photographie s’impose comme un outil d’inventaire. Les clichés de Carlo Naya ou Anita Conti documentent bateaux, filets et gestes techniques, dans une approche à la fois descriptive et esthétique. Dans le contexte colonial, la photographie devient aussi instrument de propagande. Des fonds venus de l’administration coloniale montrent les pratiques de pêche en Afrique ou en Asie, avec une intention tantôt anthropologique, tantôt politique.

La « grande pêche » – campagnes lointaines à la morue ou au thon – alimente un imaginaire collectif que les photographes nourrissent ou déconstruisent. Les images mettent en scène le départ, les paysages hostiles, les gestes du quotidien. François Kollar, Serge Lucas ou Lucien Chauffard en révèlent la dimension héroïque mais aussi la vulnérabilité.

Loin des clichés glorieux, l’exposition s’attarde sur les corps en action. Ramendage, relevage du chalut, tri du poisson : les gestes sont scrutés, parfois idéalisés, parfois saisis dans leur brutalité. Le photographe, embarqué à bord, devient témoin et acteur.

Le rapport à l’animal est aussi interrogé : les prises photographiées comme des trophées, mises en scène ou détournées avec humour. Certains clichés d’Anita Conti ou Michel Thersiquel inversent les rôles, brouillent les genres, jouent avec les conventions.

Enfin, la pêche, ce sont aussi des temps morts. Repas, attente, sieste, conversations : autant de moments saisis par l’objectif, qui esquissent une autre humanité, plus intime. À terre, les bateaux désarmés deviennent des épaves mélancoliques. Ces images disent l’effacement, la mémoire, la transformation.

Une double exposition, un même regard sur l’humain

En réunissant les images d’un auteur contemporain et les archives d’un musée, cette double exposition offre une lecture inédite de l’univers maritime. Jean Gaumy, par son engagement et sa sensibilité, donne chair et profondeur à des réalités humaines souvent invisibles. Les archives photographiques, en retour, contextualisent, interrogent, décentrent. Ensemble, elles composent une fresque de la mer et de ses acteurs.

Portée par une ambition documentaire, artistique et patrimoniale, cette initiative du musée national de la Marine s’inscrit dans une saison photographique plus large. Elle fait écho à d’autres projets, comme l’hommage à Germaine Kanova à Port-Louis ou les images monumentales d’Ewan Lebourdais à Paris.

À l’heure des défis climatiques et géopolitiques liés aux océans, ces regards sur les pêcheurs, les navires et les paysages maritimes nous rappellent l’importance d’un monde souvent marginalisé. Et l’urgence de le documenter, le comprendre, le préserver.

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