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Naufrage du yacht Bayesian : que dit le rapport d'enquête intérimaire du MAIB ?

Naufrage du yacht Bayesian : que dit le rapport d'enquête intérimaire du MAIB ?

Le 19 août 2024, le yacht de plaisance britannique Bayesian a chaviré à proximité de Porticello, sur la côte nord de la Sicile, provoquant la mort de sept personnes. Un enchaînement d’erreurs humaines, de conditions météorologiques extrêmes et de vulnérabilités techniques a conduit à cette tragédie. Actunautique Yachting Art est descendu le rapport intermédiaire du MAIB, qui détaille les circonstances du drame..

Le naufrage du Bayesian s’est produit à 4h06 du matin, à moins d’un mille nautique de la ville italienne de Porticello. Ce voilier de 55,9 mètres, battant pavillon britannique, effectuait une croisière privée avec 12 passagers et 10 membres d’équipage à bord. L’escale finale était prévue à Naples, après une série d’étapes autour des îles Éoliennes et de la côte nord de la Sicile. Mais dans la nuit du 18 au 19 août, les conditions météorologiques se sont soudainement dégradées.

Selon les premières conclusions de l’enquête de la Marine Accident Investigation Branch (MAIB), un orage extrêmement violent, associé à une cellule orageuse de type supercellulaire, a généré des vents de plus de 70 nœuds (130 km/h), provoquant le chavirement rapide du navire.

Une météo sous-estimée

Le Bayesian avait levé l’ancre pour rejoindre un mouillage plus abrité à Porticello. L’ancrage avait été posé à l’est de la digue du port vers 21h24. À ce moment-là, la mer était calme et les vents faibles. Des orages étaient annoncés, mais leur intensité réelle ne semblait pas avoir été anticipée. Le capitaine avait demandé à être réveillé si le vent dépassait les 20 nœuds ou si le navire dérivait. À 3h55, le vent s’est subitement levé. En quelques minutes, le voilier a commencé à dériver avec un vent de travers.

À 4h00, le capitaine est réveillé en urgence. Le chef mécanicien met les générateurs en route et prépare les pompes hydrauliques. L’équipage s’affaire à sécuriser l’intérieur du bateau. Au même moment, les premiers effets de la tempête se font sentir. Une forte gîte à tribord s’accentue brutalement. En moins de 15 secondes, le Bayesian se couche à 90°.

Une évacuation chaotique

Le yacht, désormais couché, commence à se remplir d’eau par les ouvertures du pont. L’éclairage d’urgence s’active, et des passagers blessés ou désorientés tentent de sortir. Certains membres de l’équipage réussissent à gagner le pont supérieur ; d’autres sont bloqués dans des poches d’air. Plusieurs personnes, dont un enfant, sont évacuées depuis le pont ou par les ouvertures du poste de pilotage.

Des passagers improvisent des dispositifs de flottaison. À 4h24, un radeau de survie est enfin libéré et gonflé. Plusieurs survivants y montent. Le chef mécanicien lance une fusée de détresse, observée par un autre yacht à proximité, le Sir Robert Baden Powell, qui dépêche sa vedette pour secourir les naufragés. À 4h53, les premiers rescapés sont ramenés à bord.

Malgré une opération de recherche improvisée dans l’obscurité, sept personnes – six passagers et un membre d’équipage – périssent dans l’accident. Leurs corps seront tous récupérés plus tard par les secours italiens.

Une tempête hors normes

Selon l’analyse commandée par le MAIB au Met Office britannique, la météo du 19 août était marquée par le passage d’une zone de basse pression très instable. Les conditions dans la zone de Porticello étaient propices à la formation de supercellules, ces structures orageuses très violentes capables de produire des rafales descendantes et des tornades marines.

Les données radar, les images satellite et les relevés météo ont confirmé qu’une cellule intense avait balayé la zone au moment du drame, avec des rafales pouvant dépasser les 87 nœuds. Une telle violence, concentrée sur une bande étroite, pourrait avoir créé une situation de déséquilibre brutal sur un navire à l’arrêt.

Problèmes de stabilité structurelle

Le Bayesian avait été construit en 2008 chez Perini Navi, sous le nom Salute. Sa stabilité était conforme aux normes du Large Commercial Yacht Code britannique (LY2), mais uniquement en conditions de navigation à voile, avec la dérive abaissée. Or, au moment du naufrage, le navire était au mouillage, sous moteur, avec la dérive relevée. Le centre de gravité et le profil au vent étaient donc différents.

Une étude commandée à l’Université de Southampton a révélé que, dans cette configuration dite de “motoring condition”, l’angle de stabilité maximale (au-delà duquel le navire ne peut plus se redresser) était réduit à 70,6°. Des rafales de plus de 63 nœuds sur le travers suffisaient à provoquer un chavirement, même sans effet de voile. Cette limite critique a été dépassée dans la nuit du 19 août.

Autre point préoccupant : ces données de stabilité n’étaient pas mentionnées dans le livret de bord. Ni le capitaine ni l’équipage n’avaient donc connaissance du risque accru de chavirement au mouillage dans ces conditions.

Un sinistre évitable ?

Le MAIB souligne que les conditions extrêmes ont joué un rôle déterminant dans l’accident, mais que la configuration du Bayesian, combinée à une absence d’informations opérationnelles sur ses limites de stabilité au mouillage, a contribué à aggraver la situation.

L’absence de mesures concrètes d’anticipation ou d’évacuation préventive face à une alerte météo sérieuse interroge également. L’équipage a agi avec réactivité, mais trop tard, et dans un contexte d’urgence totale.

L’enquête se poursuit

La récupération de l’épave par les autorités italiennes, encore en attente, permettra de préciser les éléments techniques : position de la dérive, volume de charge embarquée, points d’envahissement, configuration intérieure, état des radeaux. Ces données seront déterminantes pour tirer des conclusions sur les possibilités de survie, l’efficacité des dispositifs de sécurité, et la chronologie précise des faits.

En parallèle, une enquête pénale est en cours en Italie, ce qui a limité l’accès aux preuves matérielles par les enquêteurs britanniques. Le rapport final du MAIB, attendu dans les prochains mois, devrait éclairer les responsabilités structurelles et opérationnelles.

Fiche technique du Bayesian

  • Longueur hors tout : 55,9 m

  • Année de construction : 2008

  • Pavillon : Royaume-Uni

  • Constructeur : Perini Navi

  • Matériau : aluminium

  • Équipage : 10 personnes

  • Passagers à bord au moment du naufrage : 12

  • Classification : Bureau américain de la navigation

  • Gestion : Camper and Nicholsons

  • Propriétaire : Revtom Limited

Bilan humain et matériel

  • 7 morts (6 passagers, 1 membre d’équipage)

  • 15 survivants

  • Perte totale du navire

  • Aucune pollution maritime significative signalé

Image : courtesy of Karsten Börner, skipper of "Sir Robert Baden Powell"

Image : courtesy of Karsten Börner, skipper of "Sir Robert Baden Powell"

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