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La Cour des Comptes épingle l'amateurisme de la Douane dans la gestion de ses commandes de bateaux

Le rapport 2017 de la Cour des Comptes épingle sérieusement les Douanes, en particulier son antenne des Antilles, pour des investissements hasardeux au niveau de sa flotte de patrouilleurs maritimes !

Les vedettes de surveillance rapides des Antilles : trop dangereuses pour naviguer !! COUT NET : 1.7 million d'euros....

Les vedettes de surveillance rapides des Antilles : trop dangereuses pour naviguer !! COUT NET : 1.7 million d'euros....

Les Douanes disposent d'une flotte de 38 bâtiments de différents tonnages, dont 3 patrouilleurs garde-côtes (PGC entre 43 et 53 mètres) ; 16 vedettes garde-côtes (VGC entre 21 et 31 mètres) et 12 douze vedettes de surveillance rapprochée (VSR entre 10 et 14 mètres), 3 bateaux école, 2 embarcations semi-rigides et 2 vedettes fluviales chargées... des liaisons entre le ministère des finances à Bercy et le centre de Paris (!!).

En étudiant les condition de passation des marchés de bateaux neufs par cette administration, la Cour des Comptes a identifié des lourdes défaillances des Douanes dans la gestion de sa flotte, mesurant mal son obsolescence.

En 2011, la majorité des bâtiments des Douanes avaient en effzet entre 20 et 30 ans. Faute d'anticipation, les Douanes ont donc dû réaliser une mise à niveau des bateaux, au coup par coup, en fonction des disponibilités budgétaires. Elle a ainsi procédé, entre 2011 et 2015, à l’acquisition d’un patrouilleur garde-côtes, de sept vedettes de surveillance rapprochée, de deux vedettes de surveillance rapide, deux embarcations semi-rigides et d’un intercepteur de type « go fast ».

Pour la Cour des Comptes, ces opérations de renouvellement "se sont déroulées dans des
conditions très critiquables". 

Une vraie incapacité à gérer le renouvellement de la flotte

De 2011 à 2015, quatre marchés importants ont été conclus par la Douane en vue du renouvellement de sa flotte navale. Le marché d’acquisition d’un patrouilleur garde-côte n’appelle pas d’observation. En revanche, les trois autres se sont caractérisés par des dysfonctionnements divers mais répétés.

Vedettes de surveillance rapprochée : la Brigade de Port Bouc fait modifier le bateau,... sans prévenir Paris !

Le marché notifié en 2008 avait pour objet de remplacer des vedettes de 14 mètres principalement utilisées pour la navigation côtière en métropole. Un premier marché portait sur une tranche ferme de quatre bâtiments ; un second marché, passé en 2012, concernait une série de quatre nouvelles vedettes identiques. En 2016, sept navires sont en service.

La livraison du premier bâtiment a été retardée du fait de deux problèmes : le premier, technique, était lié à la mise à l’eau du pneumatique lorsque la mer était agitée, le second, moins classique, concernait le système électrique devenu insuffisant du fait d’exigences exprimées localement par les marins de la brigade de Port-de-Bouc, sans que l’administration centrale n’en ait eu connaissance. En effet, l’installation d’un four de cuisine et de différents équipements de confort supplémentaires (!!) n’était pas compatible avec le système de production électrique initialement prévu. Le titulaire du marché a satisfait aux exigences locales, mais sans en mesurer l’impact sur les performances du navire.

La résolution du problème électrique a pris 18 mois du fait des délais d’études, de la validation des modifications et de la livraison d’alternateurs spécifiques, seuls aptes à fournir la puissance électrique nécessaire sur des petits navires.

La Douane a admis sa responsabilité dans ce retard et n’a demandé de ce fait aucune pénalité sur la première vedette, « les délais étant significativement imputables aux demandes de l’administration ». Le coût de cette vedette a été conforme au marché initial, soit 1,1 M€, le titulaire du marché ayant finalement pris à sa charge les surcoûts entraînés par les modifications liées au renforcement de l’alimentation électrique. Les autres vedettes ont été remises au standard initial et la poursuite de la conduite de ce programme n’appelle pas d’autres observations.

Cet exemple illustre néanmoins l’absence de contrôle de l’administration centrale sur des demandes formulées par les échelons locaux, sans justification recevable, une fois le marché passé. S’il n’y a pas eu finalement de surcoût budgétaire apparent, l’exécution des missions a pâti des retards engendrés par ces demandes de pur confort. Il faut souligner à ce niveau l'effort consenti par le chantier naval et sa grande souplesse...

Vedettes de surveillance rapides des Antilles : des bateaux inutilisables du fait d'un cahier des charges hallucinant 

En 2008, la direction régionale garde-côtes des Antilles a souhaité acquérir deux vedettes rapides pour lutter contre les trafics de stupéfiants dans sa zone.

La doctrine d’emploi de ces embarcations n’a pas fait l’objet d’une analyse a priori.

Alors qu’elles avaient pour finalité d’arraisonner des engins en mer, aucune étude n’a été conduite sur les modalités d’arraisonnement et les exigences opérationnelles et les spécifications techniques n’ont pas été définies précisément.

C’est en fait la direction régionale des Antilles qui a défini seule ses besoins et a transmis ses demandes à l’administration centrale qui les a acceptées telles quelles, en se contentant de noter que « le cahier des charges reprend les demandes opérationnelles de la DRGC Antilles ». Elle avait pourtant, semble-t-il, identifié les difficultés du programme qui devait concilier des besoins contradictoires, « en particulier une vitesse et une autonomie importantes malgré le poids d’un équipement en appareils de détection et de navigation, ainsi que des capacités à « aborder » sans déformation des navires faisant route, tout en répondant à des exigences de confort (climatisation, cuisine, etc.) ».

Le chantier naval titulaire du marché a dû, pour réaliser cette commande très spécifique, faire des choix techniques qui se sont révélés hasardeux. Ainsi, pour compenser la masse importante du bateau, les systèmes de propulsion ont été surdimensionnés, avec une triple motorisation et le recours à des hélices de surface.

Les essais de recette provisoire ont été effectués en métropole, puis à Fort-de-France durant le premier trimestre 2010. À l’issue de ces essais, l’administration a relevé que « le bateau n’offre pas une stabilité optimale en navigation, les embruns [étaient] omniprésents (du fait) des hélices de surface et des formes de la carène ». Aux essais, ce bateau était apparu difficile à manœuvrer ; en particulier, il ne virait pas suffisamment aux vitesses recherchées.

La recette définitive des deux bateaux n’en a pas moins été signée en juin 2010, la Douane se satisfaisant des performances en l’état. Selon la note justifiant cette décision, « la vedette est perfectible en comportement, mais présente un compromis navigable, rien ne permet de rejeter la vedette qui répond dans sa globalité au cahier des charges ».

Cependant, une fois les vedettes réceptionnées et payées (au prix unitaire de 765 000 €), la Douane a décidé d’améliorer leur comportement en apportant des modifications techniques. Ces travaux n’ont pas permis de corriger les défauts constatés, mais seulement de réduire la vitesse du navire. Ils ont coûté 150 000 €.

Après trois années de vaines tentatives pour améliorer la manœuvrabilité de ces embarcations, la Douane, les jugeant dangereuses, les a finalement retirées du service opérationnel en juin 2014, et rapatriées en France métropolitaine.

Elle cherche encore une utilisation à ces deux vedettes neuves. Une remotorisation moins puissante est à l’étude mais son coût est estimé à 100 000 € pour chaque bâtiment. Il est aussi envisagé de les vendre, ce qui risque d’être difficile compte tenu de leurs défauts. 1 680 000 € ont ainsi été dépensés en pure perte à ce jour.

En remplacement de ces deux unités, l’administration a acquis en 2015 deux bateaux pneumatiques à coque semi-rigide de 11 mètres, dotés de moteurs hors-bord puissants. Le coût de ce marché supplémentaire s’est élevé à près de 710 000 €. Ces équipements sont qualifiés de « moyens navals de substitution », dans l’attente du remplacement hypothétique des
deux vedettes inutilisables.

Là encore, le manque d’expertise et le défaut d’autorité de l’administration centrale vis-à-vis de ses services déconcentrés ont entraîné à la fois des dépenses inutiles et une détérioration des conditions d’exercice des missions confiées à la Douane.

Le navire-intercepteur des Antilles, un bateau payé... mais jamais livré !!

La direction régionale des garde-côtes de la zone Antilles-Guyane avait exprimé en 2009, le besoin de disposer d’une embarcation très rapide, de type intercepteur, pour lutter contre la contrebande de stupéfiants perpétrée au moyen de bateaux de type « go fast ». Il s’agissait en fait de remplacer un premier navire de ce type qui avait été endommagé définitivement peu de temps après sa livraison.

Après une première procédure déclarée infructueuse, une nouvelle procédure a été relancée aboutissant à la passation d’un appel d’offres en mars 2010. Les clauses, classiques, figurant dans le cahier des charges stipulaient que :

  • les prix devaient être libellés en euros ;
  • les acomptes prévus devaient être éventuellement versés au titulaire conformément aux dispositions de l’article 91 du code des marchés publics et qu’ils ne pouvaient pas, de ce fait, dépasser 70 % du montant du marché initial ;
  • si des actions de sous-traitance étaient envisagées, l’administration devait en être informée ;
  • des pénalités pouvaient être appliquées en cas de performance ou de délais non conformes.

Après examen des propositions entre juin et décembre 2010, la Douane a retenu celle présentée par un intermédiaire ayant son siège en Floride mais disposant d’un correspondant en France et commercialisant des bateaux fabriqués aux États-Unis. Ce choix a été motivé par les conditions financières et par les garanties techniques apportées par le constructeur américain : le modèle proposé, déjà fabriqué en série, pouvait être considéré comme éprouvé. Le titulaire unique du marché était cet intermédiaire, le fabricant n’étant même pas déclaré comme sous-traitant.

Ce montage a coûté très cher à l’administration. Les premiers acomptes ont été versés en février 2011. Les essais, devant déboucher sur la recette provisoire, ont eu lieu aux États-Unis, chez le constructeur en mai 2012. Un certificat d’acceptation (« acceptance certificate ») fut alors signé par les représentants de la Douane et par le titulaire du marché ; il a déclenché le paiement d’une série de trois factures à partir du 11 mai.

La première facture correspondait à un deuxième acompte. Son paiement a porté les versements de l’État à 90 % du marché initial, audessus du maximum de 70 % prévu dans le code des marchés publics et mentionné dans le cahier des clauses administratives.

Deux autres versements ont été effectués ensuite : le paiement de certaines options évoquées, sans être chiffrées, dans la notification initiale (peinture du bateau aux couleurs de la Douane et décanteur d’essence pour un total de 5 098 €) et le versement intégral du montant de l’avenant n° 1 passé en juin 2011 en vue de réduire le bruit fait par le système d’échappement (20 000 €).

L’embarcation devait être chargée sur un bateau au cours de l’été 2012, pour être acheminée dans l’île de Saint Martin, lieu où l’intercepteur devait être basé. Après plusieurs reports, le constructeur américain a affirmé en septembre que le titulaire du marché ne lui avait pas versé la totalité de ce qu’il lui devait, alors que de son côté l’administration avait déjà versé à ce même intermédiaire une somme supérieure à ce qui était prévu au marché.

Dans ce contexte, pour tenter de récupérer un bateau déjà largement payé, la Douane a pris des initiatives malvenues. Elle a essayé de régler le problème en acquittant directement auprès du constructeur les sommes qu’il réclamait, soit 93 683,71 €. Il s’est heureusement trouvé que le
règlement effectif a été bloqué car l’identifiant bancaire du constructeur figurant sur ces mandats était erroné.

En janvier 2013, l’avocat du constructeur a sommé la Douane de lui remettre dans un délai de quatre jours une somme de 50 000 US$ à titre de pénalités faute de quoi l’embarcation serait mise aux enchères au profit du constructeur.

Plusieurs tentatives de la Douane, aussi tardives que désespérées, n’ont pas permis de débloquer la situation et il semble que le bateau a effectivement été mis aux enchères au seul profit du constructeur qui, après avoir reçu les deux tiers de la somme qui lui était due, a pu procéder à sa revente.

Au total, la Douane s’est donc trouvée avoir versé, en pure perte 307 618,39 €, pour un marché dont le montant initial était de 313 911,54 €. Ce n’est qu’en mai 2013 que le titulaire du marché, devenu injoignable, a été mis en demeure.

La Douane n’a prononcé la résiliation du marché qu’en décembre 2013, soit près d’un an après l’échec des dernières négociations. Il a fallu attendre encore six mois pour qu’elle saisisse, en juin 2014, le receveur régional d’Ile de France afin qu’il émette un titre de perception sur le titulaire du marché ; cette procédure a de plus été suspendue à cause de plusieurs erreurs commises par la Douane dans les procédures et le calcul des sommes réclamées.

Le certificat administratif déclenchant l’émission d’un titre de perception à l’encontre du titulaire du marché n’a finalement été émis qu’en novembre 2015 par la Douane. Une procédure de recouvrement sur le titulaire du marché a pu être engagée par la direction générale des finances publiques (DGFiP) seulement en mars 2016.

La Douane a examiné les possibilités d’engagement d’une procédure pénale à l’encontre du fournisseur du navire payé mais non livré, mais en est restée au stade exploratoire. Après bientôt quatre ans de tergiversations, cette démarche a désormais peu de chance d’aboutir du fait des délais de prescription.

La Douane invitée à mutualiser ses achats

La flotte navale de la Douane n’atteint clairement pas la taille critique. La complexité croissante des équipements et les contraintes budgétaires créent de nouvelles exigences d’optimisation qui
ne peuvent être satisfaites qu’au niveau interministériel.

Selon la Cour des Comptes, les échecs coûteux et répétés mettent en avant l’incompétence de la Douane pour mener seule des opérations d’acquisition, de maintenance et de mise en œuvre.

Dans ce contexte, elle propose à cette administration de mieux définir ses programmes et ses cahiers des charges en amont dans un cadre pluriannuel. Les décisions d’investissement devraient ensuite être soumises à autorisation interministérielle notamment lorsque les services de l’État ont des besoins analogues et concourant aux mêmes missions.

La Douane devrait ainsi inscrire ses projets d’acquisition dans le cadre de la nouvelle organisation des achats de l’État (direction des achats de l’État), en recourant aux prestations de l’Union des groupements d’achats publics (UGAP).

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