15 Février 2019
La pêche électrique sera désormais totalement interdite aux navires de pêche de l’Union européenne dans toutes les eaux qu’ils fréquentent, y compris en dehors de l’UE, à partir du 30 juin 2021.
« En 2017, lorsque BLOOM a commencé à faire campagne au Parlement européen, tous les groupes politiques sauf un (la GUE/NGL) acceptaient le principe de la pêche électrique, les pêcheurs artisans n’avaient plus aucun espoir de la voir interdite et le débat portait même sur son extension massive en Europe » rappelle Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM.
« Le chemin parcouru est gigantesque. Nous revenons de loin. Nous avons entièrement retourné l’écosystème politique en notre faveur et la négociation ce soir n’a quasiment porté que sur la date de l’interdiction, plus personne ne remettait en cause son principe ».
D’ici à la date de l’interdiction, les chalutiers déjà équipés en électricité pourront continuer à utiliser les dérogations qui leur ont été accordées à partir de 2007, c’est-à-dire dans la limite de 5 % des flottes de chalutiers à perche des Etats membres de l'UE.
Aucune nouvelle dérogation ne pourra être dispensée, et l’accord politique qui a été trouvé stipule que la recherche scientifique devra être strictement encadrée, avec un nombre limité de bateaux (à six, encore trop selon l’association BLOOM) et une validation délivrée par l’organe scientifique de la Commission européenne (Comité scientifique, technique et économique de la pêche).
« Enfin ! » s’exclame Mathieu Colléter, le responsable des relations institutionnelles chez BLOOM, qui a suivi de près le dossier pêche électrique à Bruxelles. « Il nous aura fallu plus de deux ans de campagne, deux plaintes officielles à la Commission européenne, une demande d’ouverture d’enquête européenne pour fraude, une saisine de BLOOM de la médiatrice européenne, des centaines de rendez-vous avec les représentations permanentes des États membres et les parlementaires à Bruxelles pour obtenir cette interdiction totale de la pêche électrique. »
Sabine Rosset, directrice de BLOOM, estime qu’une interdiction au 30 juin 2021 constitue un compromis encore trop généreux pour les Néerlandais : acculés à l’interdiction, les industriels souhaitaient profiter d’une période de transition de trois ans, jusqu’en 2022, tandis que BLOOM, les ONG et pêcheurs artisans réclamaient une interdiction au 31 juillet 2019. « Une période de transition de plus de deux ans à compter d’aujourd’hui, c’est bien trop long pour les pêcheurs artisans qui subissent depuis des années déjà la concurrence déloyale des navires industriels pêchant illégalement » alerte-t-elle.
« D’ici là, la France doit interdire sans plus attendre la pêche électrique dans ses propres eaux pour que les navires néerlandais ne puissent plus pêcher sur nos côtes. Par ailleurs, il est indispensable que les institutions prévoient un plan d’urgence pour accompagner financièrement la pêche artisanale car elle n’a plus les moyens de résister. »
Les Etats membres peuvent « interdire ou restreindre » immédiatement cette pratique dans leurs eaux territoriales, est-il précisé dans l'accord. C'est ce que compte faire la France, comme l'a annoncé hier le ministère de l'Agriculture. La France « lancera la procédure dès la publication du règlement européen », a précisé un porte-parole à l'AFP. « Cette interdiction dans les 12 milles [les 22,2 kilomètres d'eaux territoriales NDLR] était de longue date une demande et une volonté de la France », a-t-il déclaré.
« Lorsque nous avons commencé notre campagne contre la pêche électrique, tout l’écosystème politique jouait contre nous » se rappelle Claire Nouvian. « Nous nous sommes lancés dans cette nouvelle lutte, surdimensionnée pour la petite équipe de BLOOM, car il nous paraissait moralement inacceptable de laisser faire l’électrocution de la vie marine. Mais les découvertes de nos chercheurs Laetitia Bisiaux et Frédéric Le Manach nous ont permis d’exhumer des faits d’une gravité insoupçonnée : nous avons révélé une série de décisions publiques profondément corrompues en faveur des lobbies néerlandais de la pêche industrielle. Notre combat a pris une tournure inattendue de lutte contre une fraude systémique, des abus financiers, des passe-droits et un dysfonctionnement inquiétant des institutions. Aujourd’hui, nous célébrons non seulement une victoire pour le milieu marin et les pêcheurs artisans, mais aussi une victoire des citoyens. Ce résultat rappelle qu’avec persévérance et rigueur, un petit groupe de personnes motivées et soutenues par l’opinion publique peut gagner contre un système politico-industriel radicalement hostile. »
Et Frédéric Le Manach de conclure :
« La Commission européenne a reconnu le bienfondé de notre plainte à propos de l’illégalité de 83% des licences de pêche électrique et a annoncé vouloir ouvrir une procédure d’infraction à l’encontre des Pays-Bas, mais la décision dépend du Collège des Commissaires. Or nous avons appris dans la nuit du 12 au 13 février, une fois de plus par les journalistes néerlandais, que la décision aurait été prise de ne pas poursuivre les Pays-Bas pour leurs licences illégales. C’est de cette façon également que nous avons découvert la décision de l’Office de lutte anti-fraude de ne pas ouvrir d’enquête à la suite de la plainte de BLOOM, ça commence à bien faire ! Nous demandons à Jean-Claude Juncker de s’exprimer publiquement pour nous dire si oui non le Collège des Commissaires a bloqué la demande de la Direction des pêches (DG MARE) d’entamer une procédure à l’encontre des Pays-Bas. D’autre part, les millions d’euros perçus au titre de licences illégales doivent être rendus aux contribuables européens, coûte que coûte. Nous n’en resterons pas là ».
L’accord trouvé sur l’interdiction de la pêche au chalut électrique doit encore être entériné par le Parlement européen lors d’un vote en session plénière : « C’est une étape obligatoire mais sans risque. Une fois qu’un compromis a été trouvé sur un terrain politique aussi sensible, il est quasiment impossible que le Parlement le mette en péril » précise Mathieu Colléter.