26 Octobre 2019
Comment s’est formé votre binôme ?
Alex Thomson : « Dans l’équipe, Neil est notre performer et il a une expérience considérable, même s’il a évolué dans un monde différent, la course sur gros bateaux en équipage. Ça avait du sens qu’il embarque pour voir comment marche un IMOCA. Il va vous dire tout de suite que si j’avais voulu gagner la course, je ne l’aurais pas choisi mais il se trompe. Car notre but, c’est d’abord de terminer la course et d’emmagasiner le maximum de données pour les choix techniques futurs. »
Après deux mois de navigation, tu as l’impression de déjà bien maîtriser ton nouvel Hugo Boss ?
Alex : « Sur mon ancien bateau après le Vendée Globe, je pouvais dire aux gars du fond de ma couchette s’il y avait une algue dans le safran. Le nouveau bateau apporte ses propres bruits, des gémissements particuliers, il faut d’abord quelques semaines pour évacuer son stress. Ca vient petit à petit et un jour, tu fais vraiment corps avec le bateau. »
Lorsque vous vous baladez sur le bassin Paul Vatine quel vous semble être le concurrent le plus sérieux ?
Neil Mc Donald : « Je mettrais bien une pièce sur Charal. Quand je vois le bateau, je suis assez impressionné de voir comme ils ont su apprivoiser la bête, parce qu’il s’agit vraiment de bêtes ! La mise au point est longue. Nous, nous sommes en bas de l’échelle et eux ont gravi la moitié des marches. Sur ces bateaux, la frontière entre aller vite et casser est ténue. »
Alex : « Charal vole haut et je pense que nous sommes capables de voler haut également mais il faut pouvoir réguler car plus tu voles haut, plus tu retombes durement. Si tu regardes la dernière génération, je crois que nous avions produit le meilleur bateau, en tous cas le plus aérien, donc j’ai l’impression que nous avions moins de chemin à faire que certains. Et lorsque nous avons mis le bateau à l’eau, même si les premières navigations étaient un peu compliquées, nous n’avions pas un Alien entre les mains. Nous sommes arrivés rapidement à voler de façon stabilisée. Mais j’ai vu qu’au Défi Azimut, Charal avait fait des runs à 27 nœuds de moyenne. Le deuxième n’était qu’à 24, c’est impressionnant »
Vous voulez mettre la pression sur les épaules de Jérémie et Christopher là !
Alex : « Non, vraiment pas, j’ai énormément de respect pour eux. Lorsque tu vois où en était le projet au moment de la Route du Rhum et le boulot qu’ils ont fait en un an !... Ce ne sont pas des histoires faciles et d’ailleurs quand nous sommes arrivés ici, j’étais vraiment désolé pour l’avarie d’Arkea Paprec. Nous perdons un concurrent pour nous étalonner. »
En combien de jours imaginez vous boucler le parcours ?
Neil : « Avec les mêmes conditions météo qu’en 2017, je ne serais pas surpris si des bateaux comme Charal parviennent à gagner deux jours (sur 13 jours, 7 heures, 36 minutes NDLR) »
Alex : « Sur le dernier Vendée, j’ai rallié le cap de Bonne Espérance en 17 -18 jours, environ le même temps qu’Orange II (en 2005). Ce que je veux dire par là, c’est que tout dépend des conditions météo, spécialement sur une descente de l’Atlantique. Mais par rapport à l’ancien Hugo Boss (devenu 11th Hour, présent au départ NDLR), sur mer plate, nous marchons 20 % plus vite. Quand on faisait 20 nœuds avant, on fait 24 maintenant… »
Neil : « Ça ne veut pas dire que tu vas aller 20% plus vite sur une traversée parce qu’il y aura plein de moments où tu iras à la même vitesse. »
Alex : « Bien sûr, la mer lisse tout ça et les différentes générations se retrouvent beaucoup plus proches dans les conditions difficiles »
La réputation d' Hugo Boss est d'être un gros team. Comment fonctionnez-vous ?
Alex : « Nous sommes 25 en effet, 15 en technique et 10 au bureau. Nous avons la chance d’avoir un beau budget et de faire ce que nous avons décidé. Avoir fait appel à Jason Carrington pour construire le bateau est un luxe. Il ne fait aucun compromis et au final, ils ont passé 46 000 heures en chantier ce qui a coûté un peu plus cher que prévu… Mais hier, j’ai entendu un type sur le ponton qui disait à son copain, « Regarde, les autres bateaux sont des Renault et voilà une Roll’s » » !
Neil : « Un observateur qui ne connaîtrait pas notre sport ne voit que le skipper qui pilote une voiture de course. Mais je doute que Lewis Hamilton passe beaucoup de temps sur les aspects architecturaux de sa voiture. Dans le cas d’Alex, il a donné naissance à son bateau, il a été impliqué dans tous les choix du début à la fin du projet. C’est en ce sens que la prise de risque est différente. »
Alex : « Oui mais, tout ça est sécurisé par l’équipe. Une autre manière de dire les choses, c’est d'oublier un peu la course elle-même et se concentrer sur les conditions du projet. Comment tu as fait tes choix, dans quel timing ? As-tu retenu les bonnes personnes ? Ca revient à dire que le succès provient d’un travail d’équipe. Je reprends l’exemple de Neal. Je le connaissais de nom par ma sœur jumelle qui l’a fréquenté sur les Volvo Ocean Race. Mais on ne s’était jamais croisé avant le Vendée 2016. C’est une rencontre déterminante. C’est formidable d’avoir à tes côtés un type plus âgé que tu respectes, qui peux te dire de la boucler si ça ne va pas. Je passe mon temps à chercher à aller plus vite, tester de nouveaux trucs, mais je n’ai pas son expérience en architecture navale, son niveau de maths. Nous nous complétons formidablement et nous avons une équipe vraiment forte dans tous les domaines. Avoir les bonnes personnes aux bons postes, c’est la base d’un projet et si tu te trompes au départ, je ne suis pas certain que tu puisses rattraper ça par la suite. »
Quel bon moment attendez-vous de cette Transat Jacques Vabre Normandie Le Havre ?
Neil : « Il faudra me poser la question dans deux ou trois semaines… »
Alex : « Les caipirinhas à l’arrivée ! Non, sérieusement, c’est formidable d’être là, même si j’aurais préféré mettre à l’eau trois ou quatre mois plus tôt car nous n’avons pas vraiment tiré sur le bateau. Nous n’avons fait que 4000 milles depuis le lancement. Maintenant, il faut laisser monter l’adrénaline, mettre la poignée dans le coin et on verra bien ce qui arrivera… »
Vous innovez avec ce pont complètement couvert. Etes vous satisfait du choix ?
Neil : « Quand j’ai vu les premiers dessins, j’ai dit wow, c’est vraiment radical ! Maintenant que je suis assis dedans, tout paraît si évident. J’ai l’impression que ce sont les autres qui sont extrêmes. Mon expérience de la course au large, c’est de rester assis des mois entiers sur le pont autour du monde à me faire passer à la lance à incendie. Descendre les vagues sans se faire rincer change la donne et je crois que ce sera encore plus vrai en solitaire. »
Alex : « Le cockpit intérieur c’est génial. J’ai une excellente vision sur l’avant, je peux voir tout le temps l’étrave, les voiles sans me contorsionner avec une torche à la main. Nous avons deux caméras sur les balcons pour voir l’ensemble du pont. Bien sûr, il fait chaud dedans mais nous avons deux ventilateurs. Le cockpit est le choix le plus radical vu de l’extérieur, mais je crois que nous innovons aussi par notre système de production électrique qui s’appuie beaucoup sur les panneaux solaires et avec les foils bien sûr. Ils sont courbes et très grands. C’est un pari, car lorsque nous les sortons à fond, le vol est parfois moins stable mais c’est aussi un avantage de pouvoir les rentrer complètement à certains moments. De toutes façons, nous avons fait ce choix il y a plus de neuf mois et comme l’ensemble du pont et de la structure sont construits autour, il ne sera pas vraiment possible de changer. Les dés sont jetés maintenant… »