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Marins célèbres : Felix Von Luckner, le dernier corsaire à la voile

A quand remontent les dernières activités des corsaires à voile ? XVIIIe siècle ? XIXe ? Eh bien non, c’est pendant la Première Guerre mondiale qu’un officier de marine allemand pourchassait encore... à la voile, les navires alliés !

Marins célèbres : Felix Von Luckner, le dernier corsaire à la voile

Un corsaire était un armateur civil, entrepreneur en prises, dont le métier consistait à financer un navire rapide, à mettre sur pied son équipage armé, et dont la mission consistait à arraisonner des navires adverses.

Le corsaire, à la différence du pirate, agissait comme sous-traitant des Etats qui lui confiaient un mandat, en l’échange d’un pourcentage sur les prises, l’autorisant à mener légalement la guerre de course, la chasse aux navires marchands.

Interrompre les approvisionnements alliés

Dans l’Allemagne impériale de 1914, l’absence de colonies, d'où importer quantités de métaux et produits miniers, se fait d’autant plus ressentir que deux de ses adversaires, la France et le Royaume-Uni disposaient, quant à eux, des deux plus vastes empires coloniaux du moment.
C’est pour interrompre leurs approvisionnements, tout spécialement en nitrates et phosphates du Brésil et nickel de Nouvelle Calédonie que la mission, qui allait valoir sa célébrité à Luckner, fut mise sur pied.

Une jeune homme qui donna du fil à retordre à ses parents

Né Comte en 1881 dans une noble famille de Dresde, rien ne destinait Felix Von Luckner à une carrière en mer. Son père, riche hobereau, mit tout en œuvre pour en faire un officier de cavalerie dans le plus grand style prussien.
Hélas, renvoyé de 4 collèges, le jeune Felix s’embarque à 13 ans, sous un faux nom, comme mousse sur un voilier russe en partance pour l’Australie. Après deux campagnes et une solide expérience de la navigation à la voile en poche, le comte Luckner rentre en Allemagne à 20 ans et entre dans une école de formation d’officiers de marine marchande à Lübeck. Il rejoint la marine impériale en 1912 et 3 ans plus tard, c’est la Grande Guerre…

Les raiders

Dès le début de la guerre, la marine du Kaiser Guillaume II convertit un grand nombre de navires de commerces en raiders. La recette était simple : armer des cargos et profiter de leur apparence anodine pour arraisonner le trafic ennemi.

Mais dès la fin de 1915, la plupart des “raiders” étaient coulés, capturés ou en panne sèche dans quelque repaire . C’est que l’approvisionnement de ces bateaux en combustible était très délicat à mettre en œuvre.

C’est ainsi que l’état major de la marine impériale mit sur pieds le projet de lancer un raider à voile.

Un trois mâts barque plutôt méchant

C’est ainsi qu’un trois mâts barque allié, capturé, le “Pass of Balmaha”, fut équipé de deux puissants moteurs diesel (2x500 HP), de deux canons de 105 mm à tir rapide montés sur des plateformes escamotables, d’une dizaine de mitrailleuses et de deux tubes lance-torpilles.

Un 105 mm sur le Seeadler

Une radio à longue portée ainsi qu’un centre de détention, un générateur de fumée et une armurerie complétaient la transformation du navire de 1500 tonnes en “Seeadler”, l’aigle des mers…
Luckner, un des derniers officiers Allemands à disposer d’une véritable expérience dans la conduite d’un grand voilier, fut désigné au commandement. Il prit soin de s’entourer d’un équipage motivé avant de prendre la mer le 21 décembre 1916.

Arraisonné pour contrôle au large de l’Islande par un croiseur britannique, l’équipage donna le change en pratiquant des conversations en Norvégien, assorties au pavillon arboré !
C’est le début de la chasse aux cargos dans l’Atlantique, une chasse qui se poursuivit par le Cap Horn et mena le Seeadler jusqu’en Polynésie.

Un véritable gentleman de fortune

Entre décembre 1916 et 1917, Luckner et le Seeadler arraisonnèrent pas moins de 17 navires dont 14 furent coulés.
Il est important de signaler qu’aucune perte humaine ne fut à déplorer des actions de Luckner.
Il avait pour habitude de rassembler ses prisonniers sur un navire de prise, amputé d’une forte partie de sa voilure, de le doter de vivres et de le renvoyer vers un port proche.

Pourchassé par les marines Françaises et Britanniques, qui souffraient beaucoup de l’absence de communications radio à longue portée, le navire évitait ses poursuivants avec beaucoup d’adresse.

Naufrage et prisonnier !

L’épave du Seeadler à Mopelia

Le 2 août, au mouillage dans l'atoll de Mopelia, dans les Îles Société, un tsunami projeta le voilier sur le récif, l'endommageant définitivement.
Après avoir dissimulé le trésor de guerre (composé des sommes mises à sa disposition par l’amirauté, ainsi que des caisses de bord des navires saisis -qui devaient permettre aux navires d’acheter cargaisons et vivres à chaque escale, de vraies petites fortunes en espèces-), il arma une chaloupe de 10 m et partit chercher secours en laissant la plupart de son équipage, largement muni de vivres, à Mopelia.

Arraisonné après une navigation de 2000 NM dans le Pacifique, il parvint aux Fidji, d'où il voulait arraisonner un voilier pour secourir son équipage, mais y fut capturé puis détenu en Nouvelle-Zélande jusqu’à la fin des hostilités.

Le pacifique Seeteufel

Le Seeteufel

Rendu à la vie civile, Luckner compta parmi les célébrités, après la Première Guerre mondiale, en raison de son comportement chevaleresque et du romantisme se dégageant de ses années de guerre, bien différentes de l’enfer des tranchées de Verdun.

Au cours des années 1920, Luckner acquit une goélette, le Seeteufel, avec laquelle il entreprit un voyage d’amitié politique aux USA, puis au cours de la décennie suivante, un second, privé, d’agrément et de souvenirs, en direction de la Polynésie française et des Îles Fidji…
Ayant laissé relâcher son équipage une semaine à Tahiti en décembre 1937, Luckner et son épouse se sont éclipsés, en direction de Mopelia, seuls, sur leur goélette. “En amoureux” écrivirent les gazettes locales.
Le Capitaine souhaitait revoir l’épave et dit n’avoir jamais débarqué à nouveau à Mopelia.

Néanmoins, à son retour en Allemagne, le célèbre raider entreprit de gigantesques et coûteux travaux de restauration du château familial.

Le mystère est demeuré entier, et personne ne sut, sauf l’intéressé lui-même, s’il avait pu, oui ou non, récupérer son trésor de guerre…

Nota : Les puristes s’élèveront peut-être contre l’emploi du mot “corsaire” dans le titre de cet article. Luckner, officier agissant en uniforme aux commandes d’un navire de guerre, ne répondait pas à la définition du corsaire civil. Toutefois, il fait bien, à nos yeux, référence de “dernier corsaire à la voile” en ce sens que la lucrative activité de corsaire fut bannie des eaux internationales en 1856. A cette date, pirates et corsaires furent égalitairement promis à la corde. Les activités de prise ne devaient plus relever que des forces armées régulières. Et Luckner fut bien le dernier à les pratiquer à la voile…

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