16 Octobre 2025
Une campagne nationale conduite par l'Ifremer révèle une contamination diffuse des eaux côtières par des pesticides et des résidus pharmaceutiques.
Entre 2021 et 2024, une vaste campagne nationale menée par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), en collaboration avec le laboratoire Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux (CNRS), a mis en évidence la présence généralisée de substances chimiques dans les eaux marines françaises. Baptisé Emergent’Sea, ce programme de recherche a analysé des échantillons prélevés sur une trentaine de sites côtiers métropolitains et ultramarins, en ciblant à la fois l’eau de mer et certains mollusques. L’étude s’est intéressée à une centaine de composés, comprenant pesticides, résidus pharmaceutiques et biocides destinés à limiter la prolifération d’algues ou d’organismes fixés sur les coques des navires.
Les résultats mettent en évidence une contamination diffuse du littoral. Quinze substances ont été quantifiées dans l’eau de mer sur chaque site étudié. Sur les 66 composés identifiés, trois quarts ont été détectés au moins une fois au cours de la période de suivi. Cette pollution n’est pas circonscrite à quelques zones ponctuelles, mais concerne l’ensemble des façades maritimes françaises, métropolitaines comme ultramarines.
Les herbicides constituent la catégorie la plus fréquemment rencontrée. Plusieurs produits interdits depuis longtemps continuent d’être présents, comme l’atrazine, bannie en 2003. Son principal produit de dégradation, la 2-hydroxy-atrazine, apparaît dans plus de 70 % des échantillons. Le métolachlore, interdit en 2023, est également détecté sur de nombreux sites. Ces substances persistantes illustrent la rémanence d’une pollution ancienne, capable de subsister dans l’environnement marin bien après l’arrêt de leur usage.
En parallèle, des résidus médicamenteux sont régulièrement mesurés dans l’eau de mer. Les plus fréquents sont le paracétamol, la carbamazépine — un antiépileptique — et l’oxazépam, un anxiolytique. Ces composés, émis principalement via les rejets domestiques et les stations d’épuration, sont retrouvés dans plus de 80 % des points de surveillance. Leur présence témoigne de l’incapacité des systèmes actuels de traitement des eaux usées à les éliminer complètement.
La caractérisation de cette contamination est complexe. Dans les milieux marins, les substances sont soumises à des phénomènes de dilution, de transport et de transformation, ce qui conduit à des concentrations très faibles, souvent de l’ordre du nanogramme par litre. Les mesures effectuées dans le cadre d’Emergent’Sea ne reflètent donc pas forcément la qualité moyenne des eaux, mais elles permettent d’identifier la présence constante de nombreux polluants.
Le rapport souligne que la surveillance réglementaire actuelle ne couvre qu’une partie des substances préoccupantes. Elle repose sur une liste restreinte de composés dits « ciblés » et n’intègre pas tous les polluants émergents, tels que les PFAS. Les scientifiques mettent en avant le fait que certaines molécules détectées de manière récurrente pourraient avoir des effets sur les écosystèmes marins, sans pour autant faire l’objet d’un suivi systématique. Les effets combinés de ces mélanges chimiques restent encore mal évalués.
La réglementation européenne demande pourtant aux États membres d’élargir leur surveillance pour inclure des substances émergentes et spécifiques à chaque bassin hydrographique. En France, cette évolution n’est pas encore pleinement mise en œuvre. Certains composés particulièrement toxiques, utilisés notamment dans les départements d’outre-mer, échappent ainsi à la surveillance régulière.
Les conclusions d’Emergent’Sea ont été transmises aux agences de l’eau et au ministère concerné. Les chercheuses et chercheurs recommandent d’élargir la liste des substances surveillées, d’augmenter le nombre de points d’échantillonnage et d’établir des seuils réglementaires adaptés. Une meilleure caractérisation des risques est nécessaire pour comprendre les effets de ces pollutions diffuses sur les écosystèmes côtiers et, indirectement, sur la santé humaine.