16 Janvier 2014
Bruno Cathelinais, président du directoire du groupe Bénéteau, passe en revue l'actualité du groupe, pour ActuNautique.com !
ActuNautique - Lors des salons d'automne et sur le début de cette année, Bénéteau a fait montre de beaucoup de dynamisme, avec de nombreuses nouveautés, comme le Flyer 6, l'Oceanis 38, le MC4, le tout dernier Prestige... Bruno Cathelinais, l'innovation est-elle la martingale à la crise ?
Bruno Cathelinais - C'est l'une des recettes pour en amortir les effets !! Et puis c'est aussi l'un des fondamentaux du métier : il est important de se démarquer, de se renouveler, c'est un accélérateur d'achat. Dans les périodes de crise, c'est encore plus vrai. Ce que vous avez cité en préambule est formidable : il y a de nombreux paris faits par nos marques, comme le Flyer 6, qui après 30 ans de succès se renouvelle. Nous avons réfléchi à faire différemment, à sortir des sentiers battus, en apportant beaucoup de valeur ajoutée à nos clients. C'est toujours un risque énorme, mais le premier accueil semble très favorable, sur un segment où tous les bateaux se ressemblent un tout petit peu trop !
Le groupe Bénéteau a récemment annoncé ses résultats 2013. Comment s'est déroulé le dernier exercice ?
BC - 2013 a été la première année depuis le début de la crise, où nous avons réusi à équilibrer l'évolution, entre le périmètre traditionnel, qui continue à baisser, et les axes de développement que nous avons lancé au début des années 2010, qui croissent !
En 2013, nous avons fait 2% de croissance, ce qui démontre la pertinence des choix effectués. La saison 2014 devrait voir cette croissance s'accélérer, déjà parce que pour la première fois depuis 5 ans, le marché mondial de la plaisance devrait repartir à la hausse ! Il y aura des disparités géographiques toutefois, mais en 2014, le marché devrait progresser de 3 à 5%, notre ambition étant clairement de faire plus que le marché !
Pourquoi une telle ambition ? Est-ce bien raisonnable ?
BC - C'est tout à fait raisonnable, et la conséquence somme toute logique de notre stratégie d'innovation ! Durant la crise, nous avons massivement investi, quand le marché, dans son ensemble, désinvestissait. Nous nous retrouvons donc en bonne position pour redémarrer peut être plus rapidement que nos compétiteurs ! Il est clair que si nous avions réagi à la crise en adoptant un simple point de vue économique, nous aurions réduit nos investissements. Notre structure financière d'alors nous a permis d'opter pour une stratégie un peu folle, allant à contre-cycle. Un peu folle mais qui nous permettait d'imaginer le monde de demain et de l'anticiper ! Comme disent les Chinois, dans une crise, il y a une partie de risque mais aussi une partie d'opportunités ! Le risque était grand, vu la baisse des marchés, aussi grand que les opportunités qui pouvaient se dessiner devant nous.
Dans cette stratégie, il y a le développement de votre offre dans le domaine des bateaux à moteur. Initialement, le groupe Bénéteau est le leader mondial de la voile, voile qui est toutefois un marché de niche. Vous affichez depuis le début de la crise la volonté de devenir le numéro un mondial du motonautisme. Ou en êtes vous à date dans ce plan de marche ?
BC - Un voilier sur trois dans le monde est un voilier du groupe Bénéteau. C'est toute notre fierté, toute notre histoire ! Bien entendu il nous faut conserver cette position et la développer. Cela permet à nos marques de se développer mondialement et cela ne fait que renforcer notre stratégie moteur, du fait de la grande complémentrité de notre offre produit. Notre marché s'étant divisé par deux, nous avons multiplié par deux notre territoire, tant géographique que produit ! La grande décision que nous avons prise, outre les pays émergeants, a été d'attaqer l'Amérique du Nord en moteur, décision que nous n'aurions jamais prise s'il n'y avait pas eu la crise... La filière était clairement destructurée, il y avait une opportunité de rentrer. Nous y sommes allés !! Pour cela, il nous fallait tout d'abord faire des bateaux qui plaisaient aux Américains. Il nous a fallu accélérer le développement produit, trouver de nouvelles comptétences. Très bientôt, l'Amérique représentera 25% de notre chiffre d'affaires. Tout se passe aujourd'hui de façon accélérée !
60% du chiffre d'affaires du groupe est réalisé en Europe et 20% en Amérique du Nord. Quels sont vos objectifs à l'horizon 2020 ?
BC - Ce n'est pas parce que l'on s'attaque à l'Amérique du Nord et aux marchés émergeant qu'il faut oublier l'Europe !! L'Europe rencontre des difficultés conjoncturelles, certes, mais elle est et restera, un marché stratégique pour notre groupe, sachant qu'elle va aussi sortir de la crise et qu'elle saura rebondir. Si on se place à l'horizon 2020, c'est à dire après le rebond européen, l'idée serait de réaliser un tiers de notre chiffre d'affaires en Europe, un tiers en Amérique du Nord et un tiers dans le reste du monde, dont les émergeants.
La parité de l'Euro n'est-elle pas un problème pour vendre des bateaux aux Etats-Unis et en Chine, sans parler des barrières douanières, je pense là au Brésil ?
BC - Cela fait longtemps que l'on souffre d'une monnaie forte en Europe, de façon un peu paradoxale, du fait de l'atonie de l'économie européenne, mais je pense que la BCE et la FED n'ont pas les mêmes ambitions, les mêmes feuilles de route. Si tel était le cas, on arriverait à des parités différentes ! Mais on ny peut rien ! Cela fait longtemps que les industries nautiques se sont habituées à cela. Nous disposons d'une unité de production aux Etats-Unis pour les voiliers. Si le moteur y devient aussi important que ce que nous ambitionnons, il est clair qu'il nous faudra y disposer d'une usine, pour bien réagir aux variations de change, qui sont assez défavorables aux Européens.
Selon les analystes financiers, il manquerait deux marques au panel du groupe Bénéteau, pour adresser au mieux l'ensemble des marchés qu'il vise. Etes vous intéressé par un rachant de Fountaine Pajot, présent tant dans la voile que dans le moteur ? D'autres rumeurs font état de contacts aux Etats-Unis, voire en Pologne, auprès de Sunreef. Que pouvez-vous nous en dire ?
BC - Ce qui est vrai c'est que dans le cadre de notre plan stratégique, nous avons prévu d'ici 2020, de grandir dans le moteur. Nous avons actuellement 6 marques. L'objectif n'est pas d'en avoir une vingtaine, d'accumuler les marques pour devenir gros !! Notre stratégie, c'est plutôt de donner à chaque marque un potentiel maximum, tout en ayant un nombre de marques minimum. Par rapport à nos ambitions mondiales, nous avons 6 marques aujourd'hui, nous en aurions 8, cela aurait du sens !!
Les deux qui pourraient manquer, il faut juste bien les choisir ! Il faut qu'elles aient une signification, soit parce qu'elles sont importantes aujourd'hui, soit parce qu'elle pourraient le devenir à terme. Je ne peux donc pas répondre à votre queston mais il faut qu'elles aient un degré de signification important !
Dans le luxe, le yachting ?
BC - Dans... le bateau !! Surtout des marques qui pourraient avoir une reconnaissance mondiale. Chacune de nos marques doit avoir une stratégie mondiale !
En France, l'incertitude fiscale actuelle est un vrai frein à l'achat de bateaux. Que demandez-vous à nos gouvernants, à ce niveau-là, en tant qu'industriel ?
BC - Il est vrai que l'incertitude n'est pas une bonne chose !! En France, la situation est difficile, tout le monde le sait. Cela a commencé il y a deux ans. On a connu cela dans d'autres pays européens, qui ont pratiqué des plans d'austérité plus vifs que chez nous. Evidemment, dans les premiers temps, ces plans amènent de la récession ou une moindre progression et c'est très difficile, notamment pour des secteurs comme les nôtres ! Par contre, ce que l'on voit aujourd'hui, c'est que ces mêmes pays qui ont pris des dispositions plus tôt que nous, sont soit en phase de redressement, soit se sont redressés. Pour l'instant, la France est en retard dans ce domaine. Mais le monde dans son ensemble est en train de repartir vers la croisance, et cette croissance touchera forcément la France, en partculier le nautisme, secteur structurellement très exportateur !
La distributon de bateaux souffre énormément actuellement. On ne compte plus les sociétés en procédure de sauvegarde. Après 5 ans de crise, ils n'ont plus forcément les moyens de se restructurer. Selon vous, que peut-on concrètement faire pour aider le secteur aval du nautisme , et que fait le groupe Bénéteau dans ce domaine ?
BC - Quand il y a une crise dans la plaisance, les premiers touchés sont les producteurs. Ensuite, vient le tour des distributeurs. Pourquoi les distributeurs ne sont-ils pas les premiers touchés ? Parce qu'ils font plusieurs métiers : bateaux neufs, bateaux d'occasion, services, maintenance, location, accastillage... Il est vrai que quand les crises durent, les distributeurs sont touchés. On assiste actuellement à une restructuration continuelle de la distribution. En ce qui nous concerne, on est très attentifs à nos réseaux. On a connu une restructuration des réseaux en Grande-Bretagne, en Espagne et en Italie, avec une baisse du nombre de distributeurs de près de 50%, sachant que ces marchés ont traversé une crise beaucoup plus aïgue que ce que l'on a connu en France. Pour nos distributeurs, il est important que nos marques surperforment les autres, pour leur permettre de faire la différence au moment de signer les bons de commande ! Traditionnellement, nous sommes très proches de nos distribueurs, qu'il s'agise de leur suivi ou de leur accompagnement, sachant que nous avons eu très peu de pertes dans notre réseau, les entités liquidées ayant toutes été reprises !
Il y a deux ans, vous ouvriez une usine au Brésil, pour contourner une taxe locale à l'importaton de près de 200%. Or, depuis lors, le marché a marqué le pas, le Brésil traversant un trou d'air. Regrettez-vous cet investissement ?
BC - Un investissement industriel n'est jamais opéré pour le lendemain, mais toujours pour une génération. L'Amérique du Sud est un marché qui va se développer. Actuellement, il y a des incertitudes sur la politique monétaire de la Fed. Certaines décisions pourraient impacter négativement les économies locales, et y entraîner un ralentissement économique. Pour le moment, c'est difficile, mais on ne peut pas changer le sens de l'histoire : il se vendra demain plus de bateaux en Amérique du Sud, qu'il ne s'en est jamais vendu jusqu'à présent !!
Il y a un an, vous présentiez le MC5 puis le MC4. L'industrialisation de ces deux modèles semble avoir été très longue, faisant piaffer vos distributeurs d'impatience ! Pourquoi un tel délai ?
BC - Je pense tout d'abord que nous l'avons annoncé beaucoup trop vite, parce que nous l'attendions depuis très longtemps !! Nous avons sans doute voulu faire plaisir à notre réseau, lui montrer que nous avançions !! Ensuite, notre niveau d'exigence était maximum, les MC5 et MC4 étant des mini-yachts ! La production n'a donc été lancée, que lorsque nous avons été sûrs de garantir le niveau de qualité requis dans les cahiers des charges. Tout cela a logiquement allongé les délais, mais c'est désormais derrière nous, car les deux modèles sont désormais en production sur notre site de Saint Gilles : MC4, MC5, et pourquoi pas... MC6 !!
Comment anticipez vous 2014 pour le groupe Bénéteau, pour ce qui est du nautisme ?
BC - Nous anticipons une croissance supérieure à 5%, avec un résultat qui devrait clairemet être positif, signant notre retour à la profitabilité !
Et une acquisition ??
BC - Une acquisition, pourquoi pas, mais laquelle, c'est la vraie question...
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Propos recueillis par N. Venance