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Juridique - plaisance collaborative, une houle juridique instable

Juridique -  plaisance collaborative, une houle juridique instable

Bourse aux équipiers, location entre particuliers, bateaux-stop, cobaturage... les plateformes de plaisance collaborative sont présentes sur la toile depuis quelques années et surfent sur la vague du numérique.

Ces plateformes mettent en relation propriétaires de navires et équipiers désireux de naviguer pour une journée, un week-end et parfois plus...

Force est de constater que cette nouvelle pratique de navigation, motivée par le développement des nouvelles technologie et un désir de naviguer à moindre coût, se développe dans un flou juridique et pose des difficultés ou tout du moins soulève des interrogations. En outre, certains professionnels du nautisme peuvent y voir un frein, voire une concurrence déloyale à leurs activités.

Le principe de la location entre particulier ou de la bourse aux équipiers est louable à condition de respecter certaines règles

Si certains sites font preuve de transparence et respectent la règlementation comme Sailsharing (locations entre particulier) ou VogavecMoi (bourse aux équipages), force est de constater que d’autres plateformes opèrent une confusion entre plaisance d’agrément et plaisance commerciale. Sous couvert de l’ambition de développer une pratique collaborative, se développent en arrière-plan des annonces de travail dissimulé et de concurrence déloyale vis à vis de la plaisance professionnelle.

La bourse aux équipiers : un contrat de prêt ?

Il serait tentant de qualifier juridiquement le système de bourses aux équipiers par un contrat de prêt modifié. Ce dernier est un contrat à titre gracieux, autrement dit, il s'agit de prêter son bateau sans aucune indemnisation à charge du prêteur de le rendre selon les conditions du contrat de prêt (prêt du navire pendant telle période, le rendre à tel endroit etc...).

Cette qualification est cependant loin d'être satisfaisante et trop éloignée de la réalité de la bourse aux équipiers. En effet, si la pratique est obligatoirement une plaisance d'agrément qui exclut toute rémunération du skipper, le navire n'est pas prêté puisque le propriétaire reste à son bord et conserve la garde de la chose (sa gestion nautique) durant son utilisation.

La bourse aux équipiers : un contrat de fait qui s'apparente au covoiturage ou à l'autopartage

La bourse aux équipiers est un contrat de fait qui n'appartient à aucune catégorie juridique classique. Il s'agit d'un contrat "sui generis", autrement dit une convention qui n'entre dans aucune catégorie déjà répertoriée par le droit commun et nécessite de créer des textes spécifiques. Il convient donc de raisonner par analogie pour trouver une solution et combler un vide juridique. Deux solutions semblent possibles :

Une analogie avec le covoiturage

Le covoiturage consiste à partager un véhicule avec des personnes qui effectuent le même trajet. Selon le ministère de l’écologie du développement durable et de l’énergie, en charge des transports, le covoiturage peut être défini comme : «l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur non professionnel et un ou des passagers majeurs sur un itinéraire ou section d’itinéraire commun».

Le covoitureur est généralement le propriétaire du véhicule, le trajet peut être réalisé à titre gracieux ou en échange d’une participation aux frais (péage, carburant).

Une analogie avec l'autopartage

L’autopartage est un système de véhicules utilisables successivement, pour une durée limitée, par plusieurs utilisateurs, moyennant un paiement (abonnement, forfait). Il peut y avoir un ou plusieurs propriétaires qui partagent l’utilisation du véhicule, le propriétaire peut être une société. Il existe trois formes d’autopartage :

  • l’autopartage entre particuliers qui s’effectue entre amis, voisins ou proches ;
  • les services d’autopartage qui se rencontrent surtout dans les centres-villes des grandes agglomérations (parc de voitures en libre-service) ;
  • la location de voitures entre particuliers qui s’effectue par le biais de sites internet spécialisés.

Le principe de gratuité

Que l'un ou l'autre des analogies soient retenues, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) rappelle, dans un communiqué du 7 février 2014, que le covoiturage est licite à condition qu’il soit gratuit ou que l’argent versé par les personnes transportées corresponde à un partage des frais générés par l’utilisation du véhicule.

Dans un arrêt rendu le 12 mars 2013 (Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 mars 2013, pourvoi 11-21.908), la Cour de cassation s’était en effet prononcée sur le caractère licite du covoiturage. Ayant constaté une baisse subite de la fréquentation de ses autocars, une entreprise de transports avait intenté un procès à une dizaine de salariés d’une société. Elle leur reprochait de ne plus emprunter ses autocars et d’avoir organisé un covoiturage pour se rendre de leurs lieux de résidence à leur lieu de travail et de créer ainsi une situation de concurrence déloyale.

La Cour de cassation avait considéré qu’il n’y avait pas de concurrence déloyale, les salariés ayant seulement organisé entre eux un système de covoiturage gratuit, soit en assurant gratuitement le transport, chacun à leur tour, soit en dédommageant le conducteur pour ses frais de carburant, de péages, d’assurance, d’usure du véhicule...

En revanche, dans la même affaire, la Cour de cassation avait jugé qu’une conductrice qui effectuait de façon régulière des transports rémunérés de personnes au volant d’un minibus commettait des actes de concurrence déloyale à l’encontre de l’entreprise de transport public.

On peut y voir là un avertissement pour des opérations de cobaturage entre lignes régulières…

Une assurance indispensable

La bourse aux équipiers est un service amical dont l'éventuelle contrepartie financière est limitée au partage des frais. Le propriétaire n'accepte donc pas de rémunération et ne réalise pas de bénéfice, faute de quoi il se retrouverait dans une situation de transport de personne rémunéré qui nécessite une assurance professionnelle spécifique.

Le propriétaire du navire doit souscrire au minimum une assurance responsabilité civile. Cette garantie couvre les dommages qui peuvent être occasionnés à des tiers lors d'un sinistre. Ainsi, les "passagers" sont garantis par cette assurance obligatoire. Cependant, il est toujours préférable de vérifier son contrat, car certaines situations peuvent être exclues des situations garanties comme le "prêt de la barre" qui pourrait engendrer une majoration de la franchise...

Conclusion

En l'absence à ce jour de décision de Tribunaux sur le système de bourse aux équipiers, nous recommandons pour les sites développant cette pratique à la plus grande vigilance dans la mise en relation et notamment nous appelons leur attention sur le caractère illicite de toute pratique d'un tel site prévoyant une rémunération du propriétaire du navire, au-delà du simple partage des coûts.

Le transport de passagers ou la location, sous couvert de bourse aux équipages, réalisé dans un but lucratif est illégal. Il constitue en effet une activité de transport non autorisée. Les personnes qui s’engageraient dans cette activité, notamment via des sites de mise en relation, s’exposeraient des sanctions pénales. De même, l’entretien d’une confusion entre le système de bourse aux équipiers licite et un service de transport à but lucratif constitue une pratique commerciale trompeuse

 

Au sujet de l'auteur de cet article

Titulaire du Master 2 Droit et sécurité des activités maritimes et océaniques de la Faculté de droit de Nantes, Jérôme Heilikman est juriste spécialisé en droit maritime et droit social des marins. Il travaille depuis 2012 à la Sous-direction des affaires juridiques de l’Enim (sécurité sociale des marins) en charge spécifiquement de la mobilité internationale des marins et de la participation à la codification du Code des transports dans sa partie règlementaire.

En parallèle il a cofondé Légisplaisance, association rochelaise qu’il préside et dont l’objet est d’expliquer le droit de la plaisance et de mettre en relation les spécialistes du droit et les plaisanciers. L’association a publié fin 2014 le guide du droit de la plaisance.

Pour aller plus loin...

L’association LEGISPLAISANCE a publié « Le droit de la plaisance - Guide en 50 fiches thématiques » aux Éditions Ancre de Marine et parrainé par François GABART, vainqueur du Vendée Globe à bord de MACIF. Ce guide juridique et pédagogique est un nouvel outil de référence pour les plaisanciers et sera, un compagnon de voyage indispensable pour affronter la houle juridique....

site internet : http://www.legisplaisance.fr
Page facebook : http://www.facebook.com/legisplaisance

 

LE DROIT DE LA PLAISANCE
Broché: 240 pages
Editeur : Ancre de Marine (12 décembre 2014)
Collection : SANS COLLECTION
Langue : Français
ISBN-10: 2841412970
ISBN-13: 978-2841412976
Dimensions du produit: 22 x 2,5 x 15 cm

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