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Nautisme - le coup de gueule de l'inventeur de la co-navigation

En 2011, Antoine Penot, fondateur du site VogAvecMoi.com invente le terme de co-navigation pour désigner son activité de bourse aux équipages en ligne, à savoir une mise en relation de plaisanciers et d'équipiers via internet, basée sur une certaine éthique. Il dénonce aujourd'hui le détournement du terme de co-navigation et son dévoiement, par des services proposant notamment de la location de bateaux de particuliers avec skippers - leurs propriétaires - constituant une concurrence déloyale aux sociétés de location et aux skippers professionnels, à l'instar de feu Uber Pop dans l'automobile. Une situation qui brouille le sens même du concept de co-navigation dans l'esprit du public.

Antoine PENOT et Clément ROUCH, de VogAvecMoi.com

Antoine PENOT et Clément ROUCH, de VogAvecMoi.com

Antoine Penot, pouvez-vous nous rappeler l'origine du concept de co-navigation ?

Antoine Penot - Pour mémoire, le site VogAvecMoi a vu le jour le 1er février 2010 en  proposant un service de bourse aux équipiers inspiré des sites de rencontres de  amoureuses de l'époque. Meetic était alors  la référence [rires].  L'idée était d'améliorer les initiatives existantes pour permettre de trouver des  équipiers par affinités, la clé d'une navigation réussie. Toutefois, je me suis rapidement aperçu que le terme de bourse aux équipiers ne  permettrait jamais de faire décoller le site pour deux raisons : 

  • tout d'abord, car je n'arrivais pas à attirer l'attention des médias sur l'expression "bourse aux équipiers" qui n'était ni vendeuse ni moderne.
  • ensuite parce que les plaisanciers qui avaient déjà pratiqué la bourse aux équipiers en avaient souvent des mauvais souvenirs (ils avaient embarqué le mauvais équipier...) 

J'étais alors persuadé qu'il fallait trouver un nouveau concept, plus moderne et attractif. Début 2011, après plusieurs brain storming personnel, je me suis arrêté sur le terme  "co-navigation". Les gens commençaient à connaitre collocation et le covoiturage commençait à faire parler de lui. Ce nouveau terme me paraissait suffisamment évocateur : le partage d'un bateau pour une navigation. J'avais exclu le terme "co-baturage"' qui ressemblait trop à co-voiturage alors que dans l'esprit VogAvecMoi, on ne partage jamais un trajet mais surtout un bon moment de navigation!

Antoine Penot, aujourd'hui on a le sentiment que des activités très  distinctes se prévalent du terme co-navigation. Pouvez nous expliquer le concept sous tendu par vous par ce terme ?

Antoine Penot - Comme je vous le disais, j'ai inventé le terme "co-navigation" pour rendre le concept de bourse aux équipiers plus "sexy" pour les médias et tous ceux qui n'en avaient jamais entendu parlé, notamment les jeunes. La co-navigation de VogAvecMoi est donc une bourse aux équipiers améliorée de deux points de vue :

  • un large choix d'équipiers (35.000 inscrits en janvier 2016)
  • des profils affectés à chacun des équipiers et propriétaires, permettant de mieux connaître les personnes avec qui on allait embarquer.

Par ailleurs, cette rénovation conceptuelle allait très bien avec l'évolution des besoins des propriétaires de bateaux. Dans les bourses aux équipiers de "jadis", l'équipier était embarqué pour sa participation élémentaire aux manoeuvres éprouvantes de la navigation à voile. Depuis ces 30 dernières années,  les voiliers ont beaucoup évolué dans le sens de la simplification et de la facilitation (guideau électrique, voiles sur enrouleur, cartographie électronique et GPS....) et les propriétaires de bateaux n'ont plus un besoin d'équipiers au sens technique du terme puisqu'ils sont capables de les manoeuvrer seuls. Désormais, les membres de VogAvecMoi sont motivés par une envie de partager le plaisir de leur navigation avec un équipage. 

S'il y a une nuance entre le concept de "bourse aux équipiers" et celui de "co-navigation", on peut considérer que la bourse aux équipiers était un partage "utile" d'un bateau, et que la co-navigation est un partage "plaisir" d'un bateau.

Personne n'a jamais rien trouvé à redire aux bourses aux équipiers alors pourquoi autant de chahut autour de la co-navigation ou du co-baturage maintenant ? 

Antoine Penot - Effectivement, VogAvecMoi fêtera ses 6 ans le 1er février 2016, et jusqu'à récemment, la co-navigation ne semblait faire ombrage à personne alors que nous constatons qu'elle est devenue polémique.

Le trouble est venu des start up basés sur la location entre particuliers qui se sont toutes lancés autour de 2014. 

Ces entreprises se sont retrouvées face à la problématique de propriétaires de bateaux intéressés par l'aspect financiers de la location entre particuliers mais qui n'étaient pas prêts à confier leur bateau à un inconnu! 

Elles ont trouvé une réponse facile et démagogique pour récupérer des clients : "louez votre bateau, restez à bord, on appellera cela de la co-navigation!"

Trop préoccupées à gagner des clients pour séduire leurs investisseurs, je pense qu'aucune d'entre elles ne s'est posée la question de savoir si cette pratique était légale ou non, exactement comme la société Uber l'a fait, avec son service UBER POP en France.

Je suis personnellement très agacé par cet amalgame qui nous porte préjudice alors que cette pratique particulière de la co-navigation demeure ultra-minoritaire par rapport à celle effectuée sur VogAvecMoi.

Concrètement, quelle est la différence entre la co-navigation VogAvecMoi et la co-navigation des loueurs de bateaux entre particuliers ? 

Antoine Penot : La plus grosse différence est la suivante : sur VogAvecMoi, la motivation essentielle est le plaisir de partager son bateau. Dans la seconde, la motivation est la rentabilisation de celui-ci.

Cette différence se traduit dans le statut juridique de la personne embarquée et dans les rapports financiers induits.

La première différence concerne le statut de la personne embarquée. 

Tout d'abord, sur VogAvecMoi, les équipiers ne sont pas locataires du bateau. Ils sont tout simplement équipiers, c'est à dire inscrits comme tels sur le livre de bord. Ils participent aux manoeuvres et la vie du bord (avitaillement, préparation des repas, ménage du bateau). Les co-navigateurs n'ont pas un statut distinct de vos amis que vous pouvez être amené à embarquer.

Sur certaines autres plateformes, l'internaute loue un bateau avec son skipper, le propriétaire du bateau.

Or la location d'un bateau avec skipper est réglementée. Le skipper doit avoir une assurance responsabilité civile professionnelle  et un diplôme. Ce qui n'est pas le cas de la majorité des propriétaires de bateaux présents sur ces plateformes.

Une autre différence marquante ?

Antoine Penot - La seconde différence tient aux rapports financiers entres les co-navigateurs.Sur VogAvecMoi, 50% des propriétaires embarquement les équipiers gratuitement (participation uniquement à la caisse de bord) et 50% des propriétaires demandent une participation aux frais d'entretien du navire, c'est à dire en moyenne 25€/jour.

Sur les autres plateformes, on trouve la moindre sortie en mer à 75€ ou 100€/jour par Cette différence est d'autant plus flagrante que sur ces plateformes, l'équipier (ou le client) potentiel peut réserver sa place sur internet comme un billet de train ou un séjour au club med!

Sur VogAvecMoi, les sorties ne sont pas faites en fonction d'une réservation et d'un paiement mais à la suite d'une rencontre entre un propriétaire et un équipier qui décident après une période de discussion de partir naviguer ensemble (ou non).

Que pensez-vous du cobaturage ? 

Antoine Penot A ma connaissance il y a deux sites qui se prévalent de cette pratique. 

Un site associatif et un site commercial. Le premier a été créé suite à l'augmentation du prix des navettes entre Lorient et Groix par un groupe de jeunes activistes. Si l'idée est bonne, à mon sens il est en contradiction avec la réglementation sur le transport de passagers.

Le second site a repris cette idée sous une structure commerciale et propose des trajets (exemple Toulon -> Porquerolles) ainsi qu'une navigation de loisir partagée comme nous le faisons. Ce qui est dommage, c'est que ce nom laisse croire aux novices qu'un bateau de plaisance peut être considéré comme un moyen de transport...

Toutefois, ce site est trop jeune pour être représentatif d'une quelconque pratique...

Antoine Penot, lorsqu'il y a un partage de frais sur VogAvecMoi, comment celui-ci est-il déterminé ?

Antoine Penot - Les propriétaires sont libres de demander une participation aux frais ou non. Nous modérons chacune des annonces manuellement ce qui nous permet d'exercer un contrôle exhaustif. Nous excluons régulièrement certains propriétaires qui ne respectent pas les règles du jeu.

Nous avons une définition stricte des frais qui peuvent être partagés avec les équipiers (frais portuaires, assurance, francisation, carénage annuel...) basée sur l'arrêt de la Cour de cassation du 12 mars 2013, le premier ayant autorisé le co-voiturage.

Pour parler clairement, votre co-navigation faite-elle concurrence autres professionnels ?

Antoine Penot : Depuis la création de VogAvecMoi, j'ai toujours veillé à ce que la co-navigation soit abordable financièrement pour démocratiser l'accès au nautisme et par ailleurs, et je n'ai jamais souhaité développer la co-navigation en antagonisme avec les autres professionnels du secteur.

Pour répondre à votre question, je ne le pense pas. Les co-navigateurs VogAvecMoi ne font pas de transport de passagers, ne font pas d'école de voile, n'embarquent pas des groupes d'amis ou des familles mais des personnes seules ou tout au plus des couples.

Des personnes isolées qui n'auraient pas eu recours à la location d'un bateau et encore moins à la location d'un bateau avec skipper pour une question de budget.

En revanche, nous sommes très complémentaires des écoles de voile, car la co-navigation est un excellent moyen pour mettre en pratique ce qu'on a appris en école. 

J'aime bien citer cette réplique de Hans Roger, Directeur de l'école MACIF CENTRE DE VOILE, notre partenaire qui dit à ses stagiaires "Ici, c'est l'école, VogAvecMoi, c'est les devoirs".

Enfin, je crois que la co-navigation rend aujourd'hui un vrai service aux propriétaires de bateaux qui trouvent chez nous une véritable raison de naviguer plus souvent quand la famille et les amis ne sont pas disponibles ou parfois récalcitrants. Qui travaille dans le nautisme ne devrait-il pas se réjouir de voir les bateaux sortir plus souvent et des propriétaires plus libres dans leur pratique ?

Etes vous concrètement favorable à une réglementation de la co-navigation ?

Antoine Penot - Nous souhaitons faire cesser l’amalgame entre la co-navigation VogAvecMoi et toutes les initiatives visant à contourner les réglementations existantes en utilisant le terme co-navigation. Même si les concepts et les termes génériques ne se protègent juridiquement pas, VogAvecMoi revendique la paternité et la destinée de la co-navigation.

Ces sites ternissent l’image de la co-navigation et nous invitons les plaisanciers à ne pas les fréquenter afin de se protéger et de protéger notre pratique. En tenant un discours démagogique de rentabilisation des bateaux aux propriétaires, ces sites font peser un risque d’interdiction de la co-navigation par les autorités, comme l’a été en 2015 le co-avionnage par la DGAC!

VogAvecMoi prendra part, s'il le faut, à l'élaboration d'une réglementation concernant la co-navigation basée sur le bénévolat, l’esprit collaboratif, les affinités et un partage de frais raisonnables et justifiés.


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