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Une sorcière est-elle à l’origine du phare de la Vieille ? 

Le phare de la Vieille est un phare de pleine mer situé au large des côtes du Finistère, dans le dangereux passage du Raz de Sein. Ce bout de mer d'Iroise, pratique mais périlleux pour les navires, a provoqué de nombreux naufrages au fil des siècles. 

En 1861, la Commission des Phares rend un avis favorable à la construction d’un phare sur le rocher de Gorlebella (« la roche la plus éloignée » en breton). Proposé presque simultanément aux chantiers des phares d’Ar-Men et de Tévennec, ce troisième phare ne verra pourtant sa lumière s’allumer que le 15 septembre 1887, après 20 ans d’études, de doutes et de travaux préparatoires, et 6 ans de construction.

En effet, pendant les 20 années qui ont précédé sa construction, il n’était plus tout-à-fait certain que le phare voit le jour. Le phare d’Ar-Men, dont la construction s’avérait compliquée, monopolisait les ouvriers, qui se relayaient entre les chantiers de Tévennec et de la Vieille lorsque le temps agité près d’Ar-Men les empêchait d’y travailler, et ce, jusqu’à sa finalisation en 1881. Et il ne s’agissait là que de travaux préparatoires, l’étude de faisabilité pour la construction n’ayant même pas encore été lancée.

Ce n’est qu’en 1882 que le véritable chantier commence, et comme pour celui d’Ar-Men, il s’avère très ardu. Le rocher de la Gorlebella est presque constamment frappé de violents courants qui rendent le travail dangereux et ralentissent considérablement les ouvriers. Et sous les directions des ingénieurs Fénoux, Miniac et Considere, le phare de la Vieille se construit enfin et voit sa lumière s’allumer en 1887.

Mais alors, pourquoi l’appelle-ton « La Vieille » ? En fait en breton, le phare fut nommé Groc’h, qui signifie bien sorcière, mais qui devint La Vieille en français. La raison peut être liée à l’image populaire qu’on se fait des sorcières, harpies effrayantes dont on ne s’approche pas. La roche la plus éloignée ne pouvait donc accueillir qu’une sorcière, d’où La Vieille.

Une sorcière est-elle à l’origine du phare de la Vieille ? 

Etant un phare de pleine mer (un Enfer), le phare de la Vieille est assez isolé, d’autant qu’il se trouve dans le Raz de Sein, souvent en proie à de violents courants. Et c’est dans ce contexte après la 1ère Guerre mondiale, alors que la France compte de nombreuses gueules cassées parmi la population, que deux mutilés de guerre, Mandolini et Ferracci, sont affectés comme gardiens du phare de la Vieille. 

Cette nomination qui fait suite à la loi du 26 avril 1924, est pourtant particulièrement inadaptée, puisque les deux hommes son handicapés par leurs blessures et que le travail dans le phare est éprouvant. Mais l’administration de l’époque, qui prévoyait ce travail parmi les emplois réservés pour les mutilés de guerre, ne s’en rend pas compte et affecte les deux hommes à l’Enfer de la Vieille.

Ferracci, qui conserve une balle logée dans le poumon, se voit alors forcé de gravir quotidiennement les 120 marches séparant la salle de veille et le réservoir à pétrole ; et Mandolini, qui n’a pas l’usage d’un de ses bras, s’aperçoit très vite qu’il leur est impossible d’utiliser le cartahu (qui doit leur permettre de monter le ravitaillement jusqu’au phare).

Dans ces conditions, les deux hommes se mettent rapidement à demander leur mutation, présentant leurs certificats médicaux d’inaptitude. Mais leurs demandes sont ignorées jusqu’à ce qu’il soit trop tard.

A la fin de l’année 1925, alors que le gardien en chef du phare est en congé à terre, les côtes subissent de violentes tempêtes qui rendent impossible toute tentative de s’approcher du phare. Et lorsque le pavillon noir de détresse est hissé au sommet du phare de la Vieille, personne ne réussit à leur porter secours et les deux hommes sont aperçus sur la plateforme du phare « noirs comme des démons, les vêtements en lambeaux ».

Le 19 février 1926, la goélette La Surprise est engloutie par les flots après avoir percuté les brisants de Plogoff et les dix membres d’équipage y perdent la vie. Le phare, dont certains témoins affirment qu’il n’était pas allumé et dont la corne de brume n’avait que peu fonctionné, est mis en cause. Mais les jours suivants, alors que la tempête ne faiblit pas, le pavillon de détresse passe en berne ; symbole du désespoir des deux hommes.

Ce n’est que le 28 février que le gardien en chef du phare d’Ar-Men, Nicolas Kerninon, accompagné du patron-pêcheur Clet Henri Coquet et son fils, décident à leur tour d’essayer de venir en aide aux deux gardiens de la Vieille. La mer n’est pourtant pas calme, mais Kerninon et le fils Coquet s’encordent à un filin jeté entre la barque et l’escalier du phare, passant à la nage par les flots glacés pour finalement arriver sur le rocher. Les deux veilleurs éreintés sont enfin ramenés à terre, et Kerninon et Coquet s’installent dans la tour de manière temporaire pour les remplacer.

Les deux hommes ne sont pas tenus responsables du naufrage de La Surprise, mais cette tragédie, relayée dans la presse, n’est pas la première affaire démontrant que le métier de gardien de phare est tout sauf adapté aux mutilés de guerre. L’affaire fait en réalité tellement de bruit qu’elle est portée jusque devant le Parlement, qui finit par décréter, au 1er septembre 1927, que le métier de gardien de phare se voit être exclus de la liste des emplois réservés aux gueules cassées et plus encore, s’en suit l’interdiction d’embaucher des mutilés de guerre dans les phares de pleine mer.

Mais l’Enfer de la Vieille devait connaître une autre tragédie, à la fin de l’été 1987. Le jour de la relève, lorsque le gardien titulaire du phare appelle le jeune Ludovic Berthelot, 19 ans et gardien vacataire, personne ne répond. L’homme lance immédiatement l’alerte, inquiet de ne plus trouver trace de son jeune collègue. Mais trois semaines plus tard, le corps sans vie du jeune homme est retrouvé par la Marine nationale dans le goulet de Brest. Il aurait été emporté par les flots alors qu’il pêchait au pied du phare.

En 1992, le phare fut électrifié, puis fut l’avant-dernier phare français à être automatisé, en 1995. Les derniers gardiens de la Vieille refusèrent d’ailleurs la relève, signe de leur protestation. Et le dernier à quitter le phare écrira les éternels derniers mots du registre : « La fin d’une belle aventure, qui se termine malheureusement tragiquement. Le phare de la Vieille sans homme ni sans âme ! Quelle tristesse ! »

Le phare de la Vieille est ensuite classé au titre des monuments historiques par la ministre de la culture et de la communication alors en place ; suivant l’arrêté du 31 décembre 2015.

Pourtant, son automatisation n’empêche pas le phare d’être, encore et toujours, victime des assauts de la mer. Et sa lanterne, privée de l’entretien de ses gardiens, se voit être victime des fuites dans le phare, qui menacent les circuits électriques et électroniques, sans compter la boiserie et le mobilier. Finalement en 2019, la lanterne est emmenée à Brest pour y être restaurée, tandis qu’une autre, provisoire, est installée à sa place.

De nos jours, le phare est donc inhabité, mais toujours en proie à la mer déchaînée du Raz de Sein. Et si aucune sorcière n’est à l’origine de son nom, on est en droit de se demander, après toutes les difficultés qu'il a traversé, si le phare de la Vieille n’a pas un jour été maudit, en fin de compte.

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